JEUDI 24 SEPTEMBRE 2009 à 20H ☞ « L’HOMME D’ARAN », un film de Robert Joseph Flaherty
« L’HOMME D’ARAN »,
un film de Robert Joseph Flaherty
Documentaire – Grande-Bretagne – 1932-34 – 80 mn
Sur une île de l’archipel d’Aran, au large de l’Irlande, la vie quotidienne d’une famille de pêcheurs.Sur le sol rocailleux, sans cesse balayé par la tempête, on fabrique la terre cultivable : l’homme casse les pierres tandis que la femme amène les algues arrachées aux crevasses.Le fils pêche du haut des falaises. Un jour, le père, parti en mer, poursuit un requin. Il n’en vient à bout qu’après une lutte acharnée. Reparti en mer, il est pris dans une tempête. Son bateau est détruit. Il réussit toutefois à rejoindre l’île et sa famille.
Au-delà de l’anthropologue ou l’ethnologue, Flaherty est avant tout un merveilleux conteur. Il n’est pas tant fasciné par la justesse scientifique, l’étude des mœurs des peuplades lointaines que par le rapport viscéral, originel et poétique que l’homme entretient avec la nature. Flaherty est le cinéaste des éléments. Dans Nanouk, il filmait la glace et le vent et lorsqu’il plante sa caméra pendant deux ans sur ce petit point de carte méconnu qu’est l’île d’Inishmore (dans L’homme d’Aran) dans la baie de Galway au large de l’Irlande, c’est pour mieux filmer l’hostilité de la mer à l’égard des hommes. Une mer incroyablement expressive, tempétueuse, envoyant ses gigantesques vagues écumeuses à l’assaut des falaises. La mer, le ciel et la terre. Contraints d’aller chercher la terre dans les crevasses de la roche, les hommes s’efforcent de réaliser une agriculture précaire, leur ressource première étant celle de la pêche en pleine mer au péril de leur vie. De même que Flaherty avait demandé à Nanouk de reproduire son quotidien, il demande aux hommes d’Aran de pratiquer de nouveau une pêche abandonnée, celle du requin. Sans doute la scène d’anthologie du film; Deux jours pour venir à bout d’un requin pèlerin long de plusieurs mètres; Flaherty nous plonge au cœur de l’événement, usant d’un montage haletant (qui inspira sans doute le Spielberg des Dents la mer), multipliant les points de vue, nous faisant partager l’attente, l’angoisse, la nervosité et le rapport de forces incroyablement tendu entre l’homme et l’animal.
L'HOMME D'ARAN (MAN OF ARAN) DE ROBERT FLAHERTY, Centre Pompidou : http://bit.ly/OMJVGS
« Le film réalisé par Robert Flaherty en 1932-34 embrassait avec passion la vie du peuple de marins irlandais. Soixante ans après, il reste un mythe solitaire, une hypothèse d’un cinéma documentaire.
Peu de films, dans toute l’histoire du cinéma, auront comme l’Homme d’Aran, construit leur propre mythologie. Phare de haute mer, construction aux limites de l’art et de l’humanité, Man of Aran doit avant tout sa qualité de film mythologique à sa facture, sa gueule, sa définition biologique. Film mi-homme, mi-bête, mi-documentaire, mi-fiction, il ressemble comme deux gouttes d’eau à son sujet: c’est un film-île, âpre, salé, unique, solitaire, isolé et désolé.
Lorsqu’il l’a tourné, entre 1932 et 1934, Robert Joseph Flaherty n’avait qu’un but, qu’une seule mission: peindre, étreindre, embrasser la vie d’un tout petit peuple de marins irlandais, aggrippés à un bout de terre rocailleuse perdue dans l’Atlantique. Lui qui avait été le premier cinéaste à déplacer les foules pour un documentaire (et quel: Nanook of the North) se souciait assez peu de respecter le partage des genres entre «document» et «fiction». Ainsi, certaines scènes de l’Homme d’Aran sont de pures reconstitutions et cela n’a aucune importance: elles sont animées d’une telle vérité, et avec un tel souci d’exactitude historique et humaine, qu’elles se substituent sans peine à un réel de toute façon disparu. Car les seules scènes réellement «fausses» de l’Homme d’Aran concernent l’épisode de la pêche au requin-pèlerin, une chasse plutôt, dont l’action peut durer plusieurs jours et dont les techniques traditionnelles ont aujourd’hui disparu. Parce que l’archipel d’Aran est situé sur la trajectoire des migrations de requins, cette pêche en a longtemps constitué la seule ressource. Sa narration forme l’un des grands sommets d’un film qui n’en est pourtant pas chiche. Une tempête de tous les diables La lutte, longue et splendide, prend corps dans le plus beau décor du monde: un golfe tout en récifs carnassiers et pris dans une tempête de tous les diables où une mer éruptive, volcanique, debout, lève des murs de déferlantes, des cohortes de vagues hautes et épaisses comme des murailles de Chine.
Mais quand ce n’est pas l’enfer, Aran est tout bonnement un paradis et la petite famille qui est au coeur du récit de Flaherty a des allures de trinité du temps de la Création: c’est Adam, Eve et leur fils, un kid assez chaplinesque, habillé d’un sac de pommes de terres et d’une ficelle, beau comme un démon, et qui coule son enfance à épier les criques du sommet des falaises.
Une violente et radicale beauté
Lorsqu’ils ne pêchent pas, ce père, cette mère et ce fils récoltent le varech, en tapissent un maigre lopin et y jettent des poignées d’une très précieuse terre arrachée aux crevasses de l’île, pour y planter ensuite quelques patates. Entre eux, peu ou pas de gestes que nous reconnaissons comme de tendresse ou d’affection, mais les regards et les silences d’un immense amour biblique. l’Homme d’Aran est ainsi construit d’images à la beauté violente et radicale, mais toujours muette: le jeu cruel d’un enfant et d’un crabe; l’enlacement d’un agneau et d’un chien; l’accablement majestueux d’un âne immergé dans la mer jusqu’au cou et néanmoins recouvert d’un énorme fardeau d’algues.
Il y a pourtant des voix dans ce film, tourné en muet, mais auquel un son sera ajouté par la suite, limité à quelques brefs dialogues et une poignée d’effets sonores. Mais l’environnement naturel, le déchaînement visuel des éléments dans lequel ces sons interviennent sont tels qu’on en parvient facilement à considérer que le doublage lui-même relève d’un ordre poétique supérieur: son approximation, sa sonorité mate, décalée par rapport au chaos venteux du paysage et des figures qui luttent dans le cadre de l’écran, ajoutent à la bande son une plastique particulière, toute en échos et spectres.
Un documentaire solitaire dans son génie
Encore que tout ceci relève de la licence subjective: techniquement, l’Homme d’Aran passait à l’époque de sa sortie pour un sommet; il persiste aujourd’hui dans ce caractère d’exception parce que rien n’est encore venu l’égaler, et en tous cas pas les innombrables sous-produits d’aventure et autres «soifs d’authentique» dont notre temps nous assèche. Citadelle inexpugnable, l’Homme d’Aran est resté solitaire dans son génie, son hypothèse d’un cinéma documentaire tout en démiurgies et passions, sa prodigieuse hauteur ; c’est sans doute pourquoi il garde aujourd’hui entières ses vertus transfiguratives, intact son pouvoir d’émerveillement et si crue, si brutale, sa force d’émotion. »
Olivier Seguret
http://www.liberation.fr/culture/0101127454-l-homme-d-aran-l-homme-d-aran-l-homme-d-avant
Analyse du film par Jean-Louis Comolli en archives sonores
http://archives-sonores.bpi.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=2649
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles