JEUDI 24 MARS 2011 à 20H ☞ « Entre nos mains », un film de Mariana Otero
« Entre nos mains »,
un film de Mariana Otero
Durée : 1 h 28 – Couleur – 2010
Pour sauver leur emploi, des femmes décident de reprendre le pouvoir dans leur entreprise de lingerie en créant une Société coopérative ouvrière de production (SCOP). Caméra au poing, Mariana Otero va suivre jour après jour les ouvrières dans leur démarche. Cela donne un film dynamique, approchant au plus près les sentiments divers et variés, parfois contradictoires, qui vont accompagner les ouvrières durant ces trois mois exceptionnels. Au gré des épreuves et des rebondissements, elles découvrent avec bonheur et humour la force du collectif, de la solidarité et une nouvelle liberté.
Image et réalisation : Mariana Otero – Son : Pierre Carrasco – Montage image : Anny Danche -Montage son : Cécile Ranc – Mixage : Yann Legay – Collaboration comédie musicale : Pascal Deux – Musique originale : Fred Fresson – Production : Denis Freyd
Extrait du dossier de presse
Un petit théâtre
« Pendant des années, j’ai consacré mon travail de cinéaste à tenter de dresser un état des lieux de notre société. sans commentaire, sans interview, sans discours, mais en racontant des histoires qui rendaient visible la complexité des situations et des enjeux. »
En plantant sa caméra chez Starissima, entreprise textile en difficulté dont les salariés envisagent le passage en Société Coopérative de Production (SCOP), Mariana Otero s’inscrit dans ce que certains critiques ont pu désigner comme l’approche « insulaire » du documentaire (Guy Gauthier, Un siècle de documentaires français, Armand Colin, 2004).
A l’instar de Claire Simon (Coûte que coûte), Jean-Michel Carré (Charbons ardents) ou Luc Decaster (rêves d’usine), il s’agit de scruter un îlot de vie sociale afin d’aborder des questions de société, sans recourir à un discours généralisateur ; ou, comme le dit Mariana Otero « faire de cette entreprise un petit théâtre (…) où [vont] se jouer des questions fondamentales économiques et sociales ».
Cinéma direct
Se plaçant sous les auspices du « cinéma direct » à la Frederick Wiseman ou Raymond Depardon,Entre nos mains refuse les procédés télévisuels du reportage (cf. un magazine sur l’économie commeCapital) : voix-off, répétitions, chiffres…
Après un carton liminaire, qui donne le minimum d’informations nécessaires à l’intelligence de la situation, la caméra nous place au cœur de l’action, au niveau des salariés. Si les détails et les circonstances restent flous (on en sait très peu sur les activités de Starissima, et sur les difficultés qu’a traversées l’entreprise), l’enjeu dramatique du film est clairement posé : arriver à monter — ou non — la SCOP et ainsi sauver l’entreprise et ses emplois.
Entre nos mains se concentre sur cet enjeu, qui donne sa tension au film. Mais la subtilité du travail de Mariana Otero est de montrer qu’à l’intérêt « collectif » s’oppose une somme d’intérêts individuels : c’est à chaque salarié de décider s’il veut ou non tenter l’aventure de la SCOP, c’est-à-dire prendre le risque d’y investir un mois de salaire (au moins). Le film montre qu’il n’y a pas unanimité, et comment les porteurs du projet s’efforcent de convaincre les tièdes ou les réticents pour attendre la majorité nécessaire à la constitution de la SCOP.
Au fil des discussions, des interrogations, des rebondissements, le spectateur est conduit à épouser les points de vue des uns et des autres, le film se gardant bien de prendre parti. Pour paraphraser La règle du jeu de Jean Renoir, Entre nos mains nous montre que « chacun a ses raisons. »
« On n’est que des ouvrières »
Entre nos mains vaut pour la galerie de savoureux portraits qu’il dresse, et l’humanité avec laquelle ces « personnages » sont filmés. Le film montre l’entreprise comme une communauté à part entière, un petit monde en réduction : des hommes et (surtout) des femmes, plus ou moins âgées, venues d’Afrique, d’Asie ou du champ d’à côté (l’une est mariée à un agriculteur), chacun apportant sur son lieu de travail son vécu, ses traditions, ses valeurs.
Mariana Otero prend d’ailleurs bien soin de filmer les ouvrières en plan large, « dans leur cadre » de travail, réservant les gros plans aux scènes de réunion. De manière moins dramatique que dans les films récents consacrés à la « souffrance au travail » (ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés, J’ai très mal au travail), Entre nos mainsmontre ce que c’est de « faire corps » avec son travail (« Je suis entrée chez starissima à la puberté et je la quitterai à la ménopause » dit avec ironie l’une des ouvrières).
Entre nos mains a d’autre part le mérite de mettre à jour les valeurs et modes de pensée d’un monde ouvrier, de plus en plus ignoré par le cinéma et les médias : éthique du travail (cf. le mari qui fait remarquer à sa femme que l’argent qu’elle a reçu au titre de l’intéressement ne lui appartient pas vraiment car « elle ne l’a pas gagné de ses mains »), complexe d’infériorité (« on n’est que des ouvrières ») et intériorisation des rapports hiérarchiques. On remarquera d’ailleurs que l’on parle toujours ici du « patron », terme chargé de connotations et d’affects, au détriment du vocable plus neutre de «chef d’entreprise ».
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