MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 à 20h ▶ A ciel ouvert, de Mariana Otero
A ciel ouvert
de Mariana Otero
France – 2013 – 1h50′
Alysson observe son corps avec méfiance.
Evanne s’étourdit jusqu’à la chute.
Amina ne parvient pas à faire sortir les mots de sa bouche.
À la frontière franco-belge, existe un lieu hors du commun qui prend en charge ces enfants psychiquement et socialement en difficulté. Jour après jour, les adultes essaient de comprendre l’énigme que représente chacun d’eux et inventent, au cas par cas, sans jamais rien leur imposer, des solutions qui les aideront à vivre apaisés. Au fil de leurs histoires, A ciel ouvert nous ouvre à leur vision singulière du monde.
Extraits de presse
Télérama
Un subconscient à ciel ouvert, ça ressemble à quoi ? A Alysson, hantée par des insectes imaginaires, perturbée à l’idée de « ce qui se passe » sous sa peau. Ou bien à Evanne, obligé de violenter son corps pour se délester du poids qui l’écrase… Après Histoire d’un secret et Entre nos mains, la documentariste Mariana Otero continue à filmer sa passion pour les autres. Ceux à qui elle se confronte, cette fois, sont radicaux, désarmants, voire inquiétants : la cinéaste a cerné, des mois durant, l’une des facettes de la folie…
A la frontière franco-belge, le Courtil, une institution fondée par un disciple de Lacan, accueille des enfants et des adolescents psychotiques, aux pathologies lourdes : autisme et schizophrénie. Mais la délicatesse de la réalisatrice lui permet de ne pas les observer comme des « cas ». Lors d’une scène de repas ou d’une sortie au jardin, elle saisit leur rapport au monde et nous invite à les regarder non comme des malades en souffrance, mais comme des énigmes à déchiffrer. Au fil des réunions de travail des soignants, elle saisit, aussi, la singularité et la souplesse d’une approche thérapeutique fondée sur la créativité — ateliers de théâtre, de cuisine… Bref, à chaque instant, elle trouve la bonne distance. Elle est en empathie, tout simplement. — Mathilde Blottière
Le Monde
« A ciel ouvert » : la cinéaste, la caméra et les enfants
Remarquée en 2003 pour Histoire d’un secret, beau documentaire dans lequel elle perçait un secret de famille sur fond d’avortement clandestin, Mariana Otero n’avait plus donné de nouvelles ensuite jusqu’à 2010, quand est sorti Entre nos mains. Dans ce dernier film, elle rendait compte de l’aventure des employés d’une entreprise de lingerie en faillite qui, en décidant de la racheter pour la transformer en SCOP, prenaient leur propre vie en main.
Tourné au Courtil, une institution psychiatrique située en Belgique, dans laquelle les intervenants, s’inspirant de la théorie lacanienne et des principes de la psychanalyse institutionnelle, œuvrent à fournir aux enfants un environnement dans lequel ils puissent s’épanouir, A ciel ouvert est son troisième long-métrage. Il confirme que Mariana Otero est une cinéaste patiente, qui prend le temps qu’il faut pour modeler ses idées, sa matière, jusqu’à ce qu’elles trouvent leur juste forme.
Il révèle en même temps la cohérence de son travail qui, film après film, creuse un sillon ténu, à la lisière de l’intime et du social. Dans chacun de ses films, la même alchimie est à l’œuvre, qui canalise la charge émotionnelle, souvent violente, des histoires de ses personnages en les inscrivant dans un contexte institutionnel, historique ou politique plus large. Et qui leur donne une coloration vibrante particulière.
Dès le premier plan, où l’on voit Amina, 7 ans environ, assénant à la cinéaste qu’elle a bien l’intention, elle aussi, de se procurer une caméra quand elle sera plus grande, et de filmer ce qui l’entoure, le principe du film est donné. Amina s’adresse à Mariana, la réalisatrice, comme le feront régulièrement les enfants dans ce documentaire. Dans la séquence suivante, une petite fille touche la lentille de l’appareil, dans celle d’après, un garçon fait un doigt d’honneur à la caméra.
UNE PRÉSENCE DANS SES FILMS ASSUMÉE
Mariana Otero a toujours assumé sa présence dans ses films, comme pour signifier la transformation que celle-ci opère nécessairement sur le réel. Mais la manière dont la cinéaste s’inscrit dans celui-ci est différente. L’affirmation de sa présence ne relève pas seulement de la prévention éthique ; c’est le socle du film.
Dans cette institution où le rapport des enfants au réel ne va pas de soi, et où il est au centre de toutes les attentions, l’intrusion d’une étrangère bouleverse l’écosystème. Il suffit de voir ce qui arrive quand débarque un nouvel enfant : sa présence au déjeuner, le premier jour, déchaîne chez ses camarades de tablée un concert de cris ininterrompus, insupportable, qui force les adultes à déplacer une partie du groupe dans une autre pièce.
En redéfinissant les places relatives de chacun, le nouveau pensionnaire a brouillé leurs repères, suggérera une des intervenantes au cours d’une des sessions hebdomadaires au cours desquelles les adultes du Courtil partagent leurs expériences et en débattent. Ce cri collectif donnait le sentiment qu’ils ne formaient plus qu’un corps unique, indifférencié.
Au Courtil, la parole est reine. Pour favoriser l’épanouissement des enfants, qu’ils soient autistes ou psychotiques, les adultes tentent de comprendre leur rapport au monde comme on déchiffrerait une langue étrangère. Et à y répondre en s’y adaptant. S’ils travaillent à plusieurs, explique l’un d’eux, c’est « pour ne pas être le “grand autre” qui veut jouir des petits sujets psychotiques mais essayer d’être un “petit autre”, c’est-à-dire un semblable ». Autre principe qui en découle : avoir « une demande nulle » vis-à-vis de ces enfants, et avoir soi-même « quelqu’un au-dessus qui dit “tu dois faire ça, tu ne dois pas faire ça” »… Sinon « on ne peut rien faire avec un sujet psychotique. Soit il nous tape, soit il devient l’objet, un objet déchet ».
Une grande douceur se dégage, de fait, des rapports entre enfants et intervenants, mais aussi de l’atmosphère générale, de la lumière, de la nature qui entoure cet ancien grand corps de ferme dont les pensionnaires passent une partie de leur temps à flâner, à jardiner, à jouer avec la terre, les végétaux, les animaux.
L’INTÉGRATION DE LA CINÉASTE DANS L’INSTITUTION
Le film entre progressivement dans leur monde, donnant à le comprendre par un subtil travail de montage entre des scènes de vie quotidienne filmées avec tendresse et empathie, une belle attention aux gestes, aux expressions, et d’autres captées en entretien, ou pendant des réunions, où se distille une précieuse part de pédagogie sur la psychose, sur les concepts de base de la théorie lacanienne, que la réalisatrice développe largement par ailleurs dans A ciel ouvert, entretiens – Le Courtil, l’invention au quotidien, un livre d’entretiens qu’elle a conduits avec une des intervenantes, Marie Brémond, et dont la parution (Buddy Movies, 127 p., 12 euros) accompagne la sortie du film.
S’ils apparaissent d’abord comme des territoires étrangers, des monades impénétrables, les enfants finissent, insensiblement, par s’ouvrir, comme s’ils invitaient le spectateur dans leur monde. C’est dans ce mouvement d’ouverture que résident l’intérêt et la beauté du film.
Comment advient-il ? Le temps passé avec les enfants joue son rôle. La parole de ces adultes qui les entourent, qui cherchent sans relâche à comprendre la singularité de leur rapport au monde, donne des clés supplémentaires. Sans doute ce mouvement traduit-il, aussi, l’intégration de la cinéaste dans l’institution. En trouvant sa place parmi ces enfants, elle instaure avec eux un rapport de confiance. Quelque chose de leur douleur, de leurs talents, de leur personnalité, devient alors sensible, partiellement compréhensible, bouleversant.
Isabelle Régnier
Les Inrocks
(…)La méthode ciné de Mariana Otero est cousine de celle des psys du Courtil en ce qu’elle n’impose rien, ne prétend pas aboutir à un discours réifiant, reste disponible à l’imprévisible, poreuse à l’altérité, afin de faire un bout de chemin empathique avec les enfants schizophrènes à défaut de les comprendre. Déplaçant le regard en nous plongeant progressivement dans l’univers énigmatique de la psychose tout en ménageant des repères avec le regard des psys, Otero signe un film déstabilisant, une aventure près de chez nous (voire en nous) instructive, émouvante, parfois même joyeuse.
Serge Kaganski
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles