VENDREDI 24 OCTOBRE 2014 à 20h ▶ La Cour de Babel, de Julie Bertucelli
La cour de Babel
de Julie Bertucelli
France – 2013 – 1 h 29′
Ils sont Anglais, Sénégalais, Brésilien, Marocain, Chinois… Ils ont entre 11 et 15 ans, ils viennent d’arriver en France. Le temps d’une année, ils cohabitent dans la classe d’accueil d’un collège parisien. 24 élèves, 24 nationalités… Dans ce petit théâtre du monde s’expriment l’innocence, l’énergie et les contradictions de ces adolescents qui, animés par le même désir de changer de vie et de vivre ensemble, bouleversent nos idées reçues et nous font espérer en l’avenir…
Extrait de l’entretien avec Julie Bertuccelli
Pourquoi un documentaire sur les classes d’accueil ?
Comme souvent, le hasard d’une rencontre. J’étais jurée dans un festival de films scolaires et Brigitte Cervoni et sa classe y participaient. Des adolescents venus des 4 coins du monde sont arrivés avec leurs visages, leurs accents chacun différents, et une énergie hors du commun. J’ai eu très envie d’aller voir comment ça se passait dans une classe d’accueil. J’avais prévu une année de repérage dans plusieurs collèges pour faire une sorte de casting et écrire un dossier. Mais à la rentrée scolaire, j’ai vu la nouvelle classe de Brigitte, et j’en suis tombée amoureuse. C’est rare de voir autant de pays représentés dans une même classe. Ils avaient des caractères et des talents très différents, très marquants. J’ai eu envie de commencer tout de suite à tourner et la productrice m’a suivie, sans financement. Arte et Pyramide nous ont rejoints en cours de montage.
Tous les élèves de cette classe sont des adolescents…
Je trouvais intéressant que ce ne soit pas des tout-petits qui arrivent, pour lesquels ça peut être plus facile. Plus on est jeune, plus on s’adapte rapidement. Mais des adolescents qui viennent d’arriver, entre deux âges, entre deux mondes… Ils ont déjà vécu de longues années dans leurs pays respectifs et c’est un déracinement très fort à cet âge-là. En France, ils sont presque déjà des adultes parce qu’ils ont des responsabilités très lourdes sur les épaules. Ils sont parfois chargés de famille, car ils sont souvent les seuls à parler le français. Ils ne sont pas encore dans l’après-immigration ou le ras-le-bol. Ils ne sont pas enfermés dans une catégorie d’immigrants qui les stigmatiserait ou rejetterait. On sait que cette impasse ou cet avenir peuvent arriver, mais en même temps on sait que tout est encore possible. Ils sont pleins d’espoir. Je montre peut-être un sas protecteur et idéal, une utopie en action, mais je montre aussi un petit théâtre de notre monde où l’énergie de l’espoir peut faire des miracles tout comme la confiance et l’accueil prodigués à ces jeunes…
Tout est filmé dans l’enceinte du collège. Vous n’avez pas eu la tentation d’aller voir comment les élèves vivaient en dehors ?
Je n’ai pas eu envie d’entrer dans l’intimité des familles, ni de filmer leur vie quotidienne. Ce n’était pas le sujet. Je voulais filmer une classe, comme un microcosme, et découvrir comment ces adolescents vivaient, parlaient, grandissaient ensemble. Ce qui se passe dans le cocon de cette petite communauté me semblait un révélateur suffisant de leurs personnalités et de leurs parcours. Par ailleurs, les familles respectives existent dans le film, mais toujours dans le huis clos du collège, puisque j’ai filmé les parents quand ils rencontrent la professeur avec leurs enfants. Dans ces rencontres s’entrouvre leur intimité, en laissant libre notre imaginaire et en rendant plus fort le hors-champ.
Parlez-nous de Brigitte Cervoni…
Cette prof est incroyable. Elle anime, elle écoute, elle met en valeur la différence, la particularité de chacun, et amène ses élèves à parler d’une manière admirable, avec respect et confiance. Elle sait chaque fois trouver la bonne distance. Du coup, ils l’adorent. Je voulais qu’elle soit dans le film, mais pas comme un des personnages du film. C’est venu petit à petit, au fur et à mesure que nous avancions dans le montage. Et j’aime bien le fait qu’on la voie de plus en plus, qu’elle devienne au fil du film « un personnage ». Elle n’en est pas le centre, mais l’armature. Elle devient un personnage parce que c’est elle qui fait vivre ensemble tout ce petit monde. Brigitte a une pédagogie que je trouve géniale. L’important, c’est que les mômes apprennent. Alors quand elle fait un contrôle où ils ont des mauvaises notes, elle reprend, elle explique et elle refera le même contrôle deux semaines ou un mois plus tard, et elle gardera la meilleure note. Pour les valoriser. L’important, c’est qu’ils aient appris, pas de sanctionner avec des notes. Pour leur enseigner la langue, Brigitte les fait beaucoup parler d’eux et de ce qui les intéresse. Elle a aussi monté ce projet pédagogique de film sur la différence qu’ils devaient eux-mêmes réaliser et qui rejoignait mon sujet : qu’est-ce que vivre ensemble lorsqu’on vient de tous ces pays, de toutes ces cultures, religions, passés différents ? Evidemment elle a le temps pour tout ça, cette classe vit à un rythme différent, mais elle prend ce temps-là.
Critiques
Télérama
On se laisse happer, dès les premières images, par la chronique de cet attachant melting-pot juvénile qui devient, jour après jour, un groupe soudé, cohérent, une petite république de l’espoir. Dans cette salle ordinaire, la planète entière s’engueule. Brésiliens, Irlandais, Africaines débattent de politique ou de religion, piquent des fous rires… Chacun s’efforce de prendre un élan vers l’avenir. C’est moins un processus d’acculturation qu’une formidable thérapie de l’exil que montre Julie Bertuccelli. Elle n’a pas choisi, c’est vrai, n’importe quelle classe d’accueil : on se prend à rêver que tous les professeurs aient la délicatesse, le sens de l’engagement et la pédagogie dont fait preuve l’enseignante Brigitte Cervoni — y compris auprès des parents.
(…)
Entre septembre et juin, la cour de Babel change d’aspect. Ses « habitants » grandissent, apprennent d’eux-mêmes et des autres. Ils sont prêts à affronter l’inconnu. Ils réalisent même un court métrage, qu’ils accompagnent dans un festival de films scolaires. Et Julie Bertuccelli réussit un tour de force : nous offrir une vraie grande aventure dans ce tout petit espace où la France est encore un pays d’accueil.
Cécile Mury
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles