JEUDI 27 NOVEMBRE 2014 à 20h ▶ Darling, de Christine Carrière
Darling
de Christine Carrière
France – 2007 – 93′
Avec : Marina Fois, Guillaume Canet, Océane Decaudain
Darling est une femme d’aujourd’hui, lancée dans le broyeur de la vie, et qui donne l’impression de toujours choisir la mauvaise direction. Elle souffre car la vie ne l’épargne jamais vraiment. Mais elle ne se voit pas comme une victime. Elle ne s’apitoie pas sur son sort. Au contraire, son parcours, son histoire, témoignent d’une rage de vivre envers et contre tout. Elle se bat pour exister. Si elle tombe, elle se relève. Ses rêves se heurtent à la réalité mais elle avance, toujours et encore. Proche de la rupture, elle puise au fond d’elle même une énergie pour continuer.Pour faire face aux épreuves qu’elle a subies, Darling se raconte. Et c’est peut-être cette envie de parler d’elle qui l’a sauvée. Darling raconte sa vie pour lui donner un sens. Elle parle dans le désordre. Il lui arrive d’inventer. Elle se met en scène. Elle enjolive. Elle y met de l’humour. Elle maintient le suspense. Sa parole la révèle comme une femme qui veut garder sa dignité et séduire malgré tout. Darling est naïve et effrontée, instinctive et courageuse. Elle possède la force vitale d’une héroïne de tragédie.
« D’abord, on n’y croit pas. On ne peut pas. On ne veut pas. Ce village normand cerné par le brouillard et les camions, ces paysans fermés, opaques, terrifiants de rancoeur et de méchanceté, cette fille confiante, victime née, qui épouse l’homme de ses rêves et se retrouve, avec le temps, tordue, broyée, brisée de partout, on se dit que c’est trop. On se dit que Darling, la vraie, celle qui, un jour, a raconté sa vie au romancier Jean Teulé afin qu’il en fasse un livre, a forcément exagéré. Noirci le tableau. Car enfin, Zola est mort depuis longtemps. On ne martyrise plus une femme à ce point-là, durant des années, dans la France de la fin du XXe siècle : il y a des lois, n’est-ce pas, et des assistantes sociales, la justice, la police…
Bref, on se sent comme Christine Carrière, la réalisatrice, lors de ses premières rencontres avec Darling : « Après nos longues nuits d’entretien, je rentrais, assommée, comme avait dû l’être Jean Teulé. Et je me disais : « Elle est dingue, elle fait son intéressante, elle en rajoute par peur d’ennuyer, elle est en représentation, elle a l’âme d’une comédienne ! » Et j’avais honte de penser ça… » D’autant que tout était vrai. On reste médusé, une fois que l’on a évacué les doutes et effacé les rires – des rires de défense inévitables, presque excusables : Darling est d’ailleurs la première à se moquer d’elle-même avec entrain.
On est médusé devant cette femme fidèle à ses pauvres rêves, que Christine Carrière filme avec ce style bien à elle, ce mélange de rigueur et d’émotion, que l’on avait aimé dès son premier film, Rosine, en 1994… L’horreur, ici, n’est pas exhibée, mais pas évitée non plus. Christine Carrière la constate, simplement, en scientifique. Elle additionne, un à un, les coups que Darling prend en pleine gueule. Et suggère – en moraliste – leurs effets sur ceux qui croisent sa route : le médecin du début du film qui constate, incrédule, ses cassures physiques et morales ; ses trois enfants qui, lors d’une scène intense, contemplent, à jamais blessés, leur mère humiliée et offensée…
Aux côtés de Guillaume Canet, impeccable en petit con à qui on ne peut même pas en vouloir tellement il est con, Marina Foïs interprète cette soeur française de la Ladybird de Ken Loach. On connaissait jusqu’à présent ses dons pour la fantaisie : impossible, par exemple, d’oublier sa scène d’ivresse dans Filles perdues, cheveux gras, de Claude Duty, digne de celle, géniale, de Kay Kendall dans Les Girls, de Cukor.
Ici, elle rend bouleversante cette boule de feu, de foi dans la vie qui, à elle seule, justifie qu’on continue de croire en l’humanité souffrante – souffrante ô combien – alors même que ce sont les inhumains qui semblent l’emporter… Quand la vraie Darling s’était confiée à Jean Teulé, elle lui avait demandé de la rendre belle, parce qu’elle ne l’avait jamais été et qu’elle aurait bien aimé, au moins une fois, « voir comment ça fait ». Darling était belle, bien sûr, même si elle ne voulait pas l’admettre. Désormais, grâce à Marina Foïs, elle le sait. »
Pierre Murat – Télérama
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles