JEUDI 11 DECEMBRE 2014 à 20h ▶ Des étoiles, de Dyana Gaye
Des étoiles
de Dyana Gaye
France/Sénégal – 2014 – 1h28
avec Ralph Amoussou, Mata Gabin, Souleymane Seye Ndiaye
Entre New York, Dakar et Turin, les destins de Sophie, Abdoulaye et Thierno se croisent et s’entremêlent.
Des premières désillusions aux rencontres décisives, leur voyage les mènera à faire le choix de la liberté.
Grand Prix du jury et Prix du public du long métrage français au Festival Premiers Plans d’Angers 2014
DOSSIER DE PRESSE
Entretien avec Dyana Gaye
Point de départ
Je suis partie de Souki et Malick, deux des personnages d’Un transport en commun, mon précédent film. Souki allait à l’enterrement de son père quand Malick s’apprêtait à émigrer en Italie. Je souhaitais prolonger cette idée du voyage, des trajectoires que l’on trace dans une existence. Je suis vraiment partie de la jeunesse en mouvement et des parcours de l’exil ; j’avais aussi une envie précise de travailler sur un personnage féminin, Malick s’est donc transformé en Sophie. Tout cela entre en résonance avec mon histoire. Mon père est sénégalais, il est arrivé en France par la musique au début des années 1970. Ma mère est une métisse franco-italo-malienne-sénégalaise, qui a grandi entre la France, l’Italie et le Sénégal. Mon grand-père paternel était boursier de l’Etat sénégalais et a été envoyé en France à 16 ans, au Lycée Louis-le-Grand, juste après la génération Senghor, Césaire. Ses propres parents avaient fui le Mali pour s’installer au Sénégal au début du siècle dernier. Dans le Paris d’après-guerre, mon grand-père fréquentait beaucoup les cercles littéraires de Saint-Germaindes- Prés, (Genet, Prévert) et les clubs de Jazz… C’est à cette époque qu’il a rencontré ma grand-mère qui arrivait d’Italie. Il a été le premier noir dans une petite localité du Nord de l’Italie près de Bergame, ce qui évidemment ne passait pas inaperçu. Je suis née à Paris mais l’italien est ma langue maternelle après le français. J’ai toujours eu un rapport d’« étrangeté » avec ce pays mais aussi une très grande familiarité. Tourner en Italie était une évidence.
Turin
Dans l’histoire de l’Italie, Turin a une place intéressante puisqu’elle a été une ville d’accueil pour une immigration intérieure liée à l’industrialisation d’après-guerre. Je trouvais cet écho émouvant, fort symboliquement, et en résonance avec New York, où l’on trouve notamment « Little Italy » mais aussi « Little Senegal »… Depuis une quinzaine d’années, c’est aussi à Turin que j’ai pu observer une immigration largement féminine – aussi bien d’Afrique que d’Amérique latine ou d’Europe de l’Est – et un tissu associatif et culturel très dense en relation avec les migrants. Avec l’hiver, l’enclavement lié aux montagnes qui l’entoure et son architecture imposante, c’était particulièrement fort de plonger Sophie dans cette ville dont elle ne connaît ni les codes ni la langue.
Ecrire
C’est la première fois que je co-écris un scénario et cette collaboration a été extrêmement riche, précieuse, libératrice, structurante. Avec Cécile Vargaftig, scénariste et écrivain, nous avons entrepris comme une longue conversation autour de nos personnages, des villes qu’ils traversent. Nous avons construit le scénario sur la base de correspondances entre les différents personnages, et puis progressivement, ces lettres sont devenues des séquences et des dialogues. New York et Abdoulaye sont arrivés dans un second temps. La trilogie Sabine et Griffon de Nick Bantock, qui fut un best-seller aux Etats-Unis au début des années 90, est un ouvrage qui m’accompagne depuis de nombreuses années. Il s’agit de correspondances imaginaires entre un illustrateur de cartes postales, Griffon, vivant solitairement à Londres, et une femme, Sabine, qu’il s’invente, illustratrice de timbres dans des îles imaginaires du Pacifique. C’est un livre magnifique, très graphique, on ouvre soi-même des enveloppes où se trouvent les lettres. L’auteur est aussi peintre, c’est donc superbement illustré. L’objet en lui-même est complètement jouissif. Ce livre me poursuit tant que je l’avais en tête dès mon premier court-métrage, Une femme pour Souleymane : un personnage correspond avec sa famille et s’invente une vie très ordinaire. En fait pour Sophie dans Des étoiles, je suis repartie de là, en transposant l’idée de correspondance dans ce triangle Dakar-Turin-New York.
New York
C’est une ville que je connais bien pour la fréquenter depuis une vingtaine d’années, mais sans y avoir d’attaches comme à Dakar ou en Italie. Une ville de lumière qui me nourrit à travers sa musique, sa littérature, son cinéma, sa culture… Il me semble que New York demeure une sorte de point de fixation et d’ancrage pour la figure du migrant, un lieu d’invention avec sa part fantasmatique. Cette idée perdure, ce qui confère à la ville un côté toujours poétique et séduisant.
Tourner dans trois villes
C’est une expérience très particulière que je n’avais pas vraiment anticipée en imaginant le film. Chaque lieu était un peu comme le départ d’un nouveau film, avec une équipe différente malgré un noyau dur (image, son, mise en scène, décors, scripte). Il fallait donc trouver nos marques, notamment avec les comédiens puisque dans chaque ville il y avait une distribution différente. Et quand nous commencions à trouver notre rythme, nous devions redémarrer ailleurs. Passer de l’hiver à Turin à la chaleur de Dakar, basculer d’une langue à l’autre a été une vraie gymnastique.
Filmer trois villes
Avec Irina Lubtchansky, directrice de la photographie, nous ne voulions pas jouer sur des effets photographiques : ce sont des villes qui naturellement imposent leur contraste, leur couleur dominante ; elles produisent une esthétique reconnaissable. Nous avons plutôt raisonné en terme de mouvement : comment accompagner les personnages, les événements, les situations auxquelles ils sont confrontés, leur présence/absence dans les villes. Je voulais que l’on soit à hauteur de leur regard ; quand Thierno est grands yeux ouverts sur la ville de Dakar qu’il découvre pleinement, Abdoulaye regarde très peu ce qui l’environne. C’est même plutôt New York qui le regarde.
Personnages
Chaque acteur a vécu d’une certaine manière le déplacement de son personnage. Marème Demba Ly (Sophie) n’était jamais allée en Europe, Ralph Amoussou (Thierno) découvrait le Sénégal et Souleymane Seye N’Diaye (Abdoulaye) New York. Chacun appréhendait ces lieux à la fois dans son personnage et dans son être, ce qui constituait une alchimie particulièrement intéressante ; la rencontre d’une altérité. L’incarnation qu’ils avaient à accomplir pour le film rencontrait leur intimité.
Langues
Cette multitude de langues me semble primordiale, même si, pour des raisons de production, le français reste la langue principale. Le wolof est, par le biais de sa diaspora, très répandu dans le monde, moins en nombre que d’un point de vue spatial. Comme il y avait cette volonté de faire le récit de plusieurs trajectoires de migrants, je souhaitais aussi raconter la capacité des personnages à s’inventer polyglottes, au moins entre la langue maternelle et la langue du pays d’accueil. La superposition de toutes ces langues, aux accents et rythmiques différents, constitue une partition musicale.
Musique (playlist)
C’est d’abord un support d’écriture. Pour chaque projet, je crée une playlist qui peut évoluer avec le temps. Pendant l’écriture, j’avais donné cette playlist à Cécile Vargaftig, puis à Baptiste Bouquin qui a composé la musique originale. Il y a une vingtaine de morceaux qu’on ne retrouve pas forcément dans le film mais qui m’aident à structurer, rythmer, trouver le souffle, les couleurs, les atmosphères. Parfois même à trouver le titre du film comme c’est le cas ici avec le morceau Les étoiles de Melody Gardot. Les morceaux de la playlist sont organisés par personnage et par lieu. On trouve une grande variété de genres, avec une dominante de jazz mais aussi de la musique populaire italienne, sénégalaise ainsi que du classique et du rap. Musique (originale) Comme c’est toujours le cas dans nos collaborations – c’est ici la quatrième – avec le compositeur Baptiste Bouquin, nous cherchons un espace musical pour une communication entre tradition africaine et tradition occidentale. Notre intention était de ne pas marquer trop fortement l’identité des lieux mais plutôt de les relier. Nous avons opté pour une petite formation (contrebasse, piano, batterie, clarinette) avec un son qui se retrouve tout au long du film. Nous avons pris un soin particulier à ce que les compositions réservent de la liberté pour l’interprétation des musiciens, pour garder la dimension vivante, jouée, de la musique.
CONSTELLATION DE L’EXIL
L’idée n’est pas de fixer une identité africaine ou sénégalaise mais plutôt d’en saisir le mouvement, avec ici le déplacement et la circulation comme principe d’invention. Tout cela est un peu à l’image de ce que je suis : je ne peux pas me résoudre à dire que je ne suis que sénégalaise ou que française ; je suis la rencontre des deux, avec un peu d’Italie aussi ! Il est difficile dans les grandes villes aujourd’hui de concevoir que l’on est simplement constitué d’une seule culture, il y a une multitude d’interactions créées par les mouvements migratoires successifs, créant, au-delà des métissages, des formes de contamination. La diaspora sénégalaise est implantée un peu partout dans le monde, très organisée, avec une très forte appartenance à leur pays d’origine. L’Amérique du Nord représente le véritable horizon et la terre de fantasme de la jeunesse du continent africain. La France et l’Europe ne sont envisagées que comme une étape. Le contrepoint représenté par Thierno me semblait indispensable, ce dernier accomplit le trajet inverse, tandis que la culture afro-américaine – du rap à la blaxploitation – a largement infusé dans la culture sénégalaise. Il y a un fantasme des afroaméricains pour le continent africain, notamment le Sénégal et l’île de Gorée d’où partaient les bateaux chargés d’esclaves pour l’Amérique.
Propos recueillis par Arnaud Hée
DYANA GAYE
Née à Paris en 1975, Dyana Gaye étudie le cinéma à l’Université Paris 8. En 1999, elle est lauréate de la bourse Louis Lumière – Villa Médicis Hors les murs pour son premier film, Une femme pour Souleymane, qu’elle réalise l’année suivante. En 2004, elle réalise J’ai deux amours, plan séquence musical, pour le projet « Paris la métisse ». Son film Deweneti réalisé en 2006 connaît une très large diffusion nationale et internationale, reçoit le prix du jury au festival international du court métrage de Clermont-Ferrand en 2007 et fait partie des cinq films nommés aux César 2008 du meilleur court métrage. En 2009, elle réalise Un transport en commun, comédie musicale présentée au festival de Locarno et sélectionnée entre autres aux festivals de Sundance et de Toronto. Ce film est nommé aux César 2011 du meilleur court métrage. En 2013, elle reçoit le prix de la fondation Katrin Cartlidge lors du festival du film de Sarajevo. Des étoiles est son premier long métrage.
Filmographie
2013 Des étoiles
2010 Un transport en commun (48’) (sortie en salles en France 16 juin 2010)
2006 Deweneti (15’)
2004 J’ai deux amours (5’)
2000 Une femme pour Souleymane (24’)
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles