JEUDI 18 DECEMBRE 2014 à 20h ▶ Les Chaussons rouges, de Michael Powell
Les chaussons rouges
de Michael Powell & Emeric Pressburger
Royaume Uni – 1948 – 2h15′
Le soir de la première de Cœur de feu, le célèbre impresario Boris Lermontov – directeur de la prestigieuse troupe de ballet qui porte son nom – fait la connaissance de Victoria Page, une danseuse qui le persuade de l’engager. Dans le même temps, il embauche un jeune compositeur, Julian Craster, qui était venu se plaindre de plagiat. Intransigeant, Lermontov dirige ses employés d’une main de fer, exigeant d’eux qu’ils se vouent entièrement à leurs carrières. Lorsqu’il annonce son nouveau ballet, Les Chaussons rouges, inspiré du conte d’Andersen, il s’agit d’un projet d’une ampleur sans précédent : Craster le composera, Page le dansera ; ils deviendront des vedettes internationales, à condition de tout sacrifier à cet art…
Chef-d’œuvre du Technicolor, ce film a été restauré en 2009, à l’initiative de Martin Scorsese qui en parle ainsi : « La passion guide chaque instant extraordinaire des Chaussons rouges, c’est ce qui rend ces merveilleuses images en Technicolor si vivantes et si touchantes, dont la beauté étincelante est aujourd’hui pleinement restaurée. Les personnages et le monde qui les entourent ont été ravivés avec toute la splendeur douloureuse qu’ils s’efforcent eux-mêmes de créer. Les rouges vifs et les bleus profonds, les jaunes vibrants et les noirs intenses, les chairs brillantes des gros plans, tantôt en extase et tantôt en agonie, ou les deux à la fois… tant de moments, tant d’émotions en conflit, un tel tourbillon de couleurs, de lumière et de sons qui enflammèrent mon esprit dès la première fois, la première de très nombreuses visions. »
On ne peut qu’aller dans le sens du cinéaste américain tellement tout dans The Red Shoes confine à la perfection et ne peut que susciter l’admiration, de la fougueuse interprétation des comédiens et danseurs à la formidable mobilité de la caméra de Michael Powell, du foisonnement visuel de l’ensemble à l’écriture acérée d’Emeric Pressburger, de l’éclat de la photographie de Jack Cardiff aux décors délirants de Hein Heckroth, de la beauté des chorégraphies (oscillant entre avant-gardisme et Broadway) à celle de la partition de Brian Easdale dirigée puissamment par Thomas Beecham et le Royal Philharmonic Orchestra. Une véritable œuvre d’art à la maestria jamais démentie et toujours aussi intrigante !
« Au cœur du film et comme pour figurer structurellement la déchirure du personnage, un inoubliable ballet de dix-sept minutes vient offrir un écho fantasmatique au récit général, aux rêves et aux terreurs de l’héroïne. Victoria Page danse alors l’histoire du conte d’Andersen « Les Souliers rouges » : une jeune femme trouve une paire de souliers qui lui plaisent infiniment, elle les enfile et se met à danser, heureuse et légère, jusqu’au bout de la nuit. Puis, exténuée, la jeune femme tente de s’arrêter ; mais les chaussons ne sont pas fatigués, et ils continuent de danser, interminablement… A la faveur de cet intermède, Powell ose un aboutissement de ce qui serait son projet artistique, toutes les potentialités plastiques et thématiques qu’il développe par ailleurs se trouvant transcendées dans l’espace de liberté qu’offre le ballet : le fantastique, habituellement suggéré comme le symptôme de réalités et de temporalités affleurantes dans l’espace du récit, explose alors comme un prolongement de l’expérience consciente et inconsciente du personnage. Et si l’on trouve ici l’une des meilleures illustrations de l’usage que le cinéaste sut faire du studio (penser au Narcisse noir, dont les décors sont presque intégralement constitués de peintures sur verre réalisées dans la région de Londres pour un film dont l’histoire se déroule dans les montagnes indiennes), c’est avant tout en tant que ce studio donne l’occasion de construire une esthétique aussi éloignée que possible d’un naturalisme conjoncturel, tendant vers le plus précis des réalismes psychologiques, réalisme fondé sur la cohérence formelle, sur une retranscription du réel pris dans ses textures visibles comme dans ses textures invisibles.
Raymond Durgnat remarquait que l’image powellienne procède d’un mouvement par lequel le personnage, ayant « absorbé » le réel [1], le transforme ensuite en une image poétique qui occupe l’écran … Cet agencement fondateur de l’esthétique des films du cinéaste britannique trouve donc un aboutissement dans le ballet des Chaussons rouges, dont les jeux de surimpressions, de textures volatiles et de glissements hallucinogènes apparentent l’image à une projection du psychisme du personnage, qui s’épanouit dans l’encart du ballet comme en un miroir révélateur. Et si le ballet se termine sur des plans qui évoquent le cinéma en noir et blanc (on songe par instants à l’Expressionnisme allemand, rappelé ici par les jeux de lumière, de perspectives, et à travers le personnage de Lermontov, très « draculesque »), c’est bien que le jeu plastique rejoint ici totalement les mouvement psychologiques de Victoria Page, faisant de l’image filmique l’espace d’une réflexion essentielle, porteuse d’un surplus d’existence sans lequel le personnage resterait condamné à de non moins tragiques nuances de gris. « Je ne suis pas un grand homme » précisait Powell dans son autobiographie. « Je ne suis pas un homme brillant. Je ne suis pas un homme du tout, mais un petit garçon combatif et rêveur bien décidé à imposer sa vision du monde à qui veut l’entendre. » » Critikat.com
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles