VENDREDI 16 OCTOBRE 2015 à 20 h ▶ Happiness, de Thomas Balmès
Happiness
de Thomas Balmès
France – 2013 – 75′
En 1999, le roi du Bhoutan Jigme Singye Wangchuk annonce à ses sujets sa décision d’autoriser l’arrivée de la télévision et d’Internet dans le petit pays himalayen. Plus de dix ans après, Laya, un village situé à 4 000 mètres d’altitude et à deux jours de marche de la route la plus proche, attend son raccordement imminent à l’électricité. Avec elle, Piyangke le sait, arrivera aussi la télévision. À 8 ans, ce petit garçon vif et rêveur n’a jamais quitté Laya. Mais faute de pouvoir subvenir à ses besoins, sa mère vient de le confier au monastère du village, où il ne goûte guère la discipline de fer et la solitude – il n’y reste plus qu’un moine sévère, entouré de quelques jeunes garçons. « Croyez-vous que la télévision va vous apporter le bonheur ? », interroge le lama. « Oui ! », répondent avec ferveur les moinillons. Premier bonheur échu à Piyangke, son oncle lui propose de l’emmener à Thimpu, la capitale, pour acheter une télé…
« Pendant trois ans, Thomas Balmès (L’Évangile selon les Papous, Babies) a mis ses pas dans ceux du garçonnet, filmant ses pirouettes et ses vagabondages, ses tête-à-tête avec sa mère, son rude apprentissage de la règle bouddhique et le premier grand voyage de sa vie, construisant son film « comme une fiction ». Témoin silencieux, il ne cherche ni à expliquer, ni à démontrer, laissant le spectateur faire connaissance avec ce héros aussi émouvant que remuant par l’image et par la sensation plutôt que par les mots. D’emblée, le dépaysement est absolu, la proximité aussi. C’est une plongée en enfance dont les clés ne nous sont pas données, un conte poétique sur la rencontre de deux mondes, qui raconte aussi le mystère des êtres et des choses. »
Entretien avec Thomas Balmès, recueilli par Télérama
Pourquoi ce choix du Bhoutan confronté à la télévision ?
Des diverses problématiques abordées dans mes documentaires, l’emprise de la télé est la seule qui pourrait me pousser à m’engager dans une forme de militance. Quand je vais aux Etats-Unis et que j’allume la télé dans ma chambre d’hôtel, ce que je vois m’afflige. Notamment les matchs de catch, qui sont parmi les programmes les plus populaires et qu’on retrouve au Bhoutan, dont la population, longtemps privée d’images par la volonté de son roi, s’est brusquement retrouvée captivée par cette violence et celle du porno qui, pour moi, se ressemblent.
Comment avez-vous procédé ?
Comme toujours : j’ai pris un billet d’avion et je suis parti sans recherches préalables. Cela suppose d’être en mesure de ne pas avoir un projet écrit en fonction de ce qu’on cherchera dans le réel pour illustrer le propos de départ. Sur place, j’ai compris que les dernières régions du pays où la télé était absente étaient celles dans lesquelles l’électricité n’était pas installée. L’une d’entre elles se trouvait près de la frontière tibétaine, à une journée de voiture et à deux jours de marche de la capitale. C’est le lendemain de mon arrivée au village de Laya que j’ai croisé un groupe d’enfants parmi lesquels se trouvait Piyangke.
Qu’avait-il de particulier ?
Il sortait du lot. C’était une évidence. En le voyant, j’ai tout de suite pensé aux essais de Jean-Pierre Léaud pour Les 400 Coups. Il y a chez lui une tristesse, une gaieté, une capacité à transformer chaque situation en scène. A regarder son visage comme à le regarder bouger, on comprend ce qu’il a en tête sans qu’il ait besoin de le formuler. Et puis, il était l’un des rares enfants du village à ne jamais l’avoir quitté. Je me suis dit que ce serait formidable d’être avec lui quand, allant acheter un téléviseur avec son oncle, il prendrait une voiture pour la première fois. Quand, pour la première fois, il découvrirait la ville et ce qui fait la modernité.
Tourner dans une langue inconnue a-t-il présenté des difficultés ?
Hormis Dommages et intérêts, que j’ai tourné aux Etats-Unis, aucun de mes films ne l’a été dans une langue que je comprenais. Ça ne me dérange pas ; au contraire, cela m’oblige à travailler visuellement. Il y a très peu de dialogues dans mes films, qui refusent l’obligation faite aux documentaristes d’être toujours dans le discours. Ne pas comprendre la langue de mes protagonistes m’a également permis de conserver une certaine distance. Les moments d’intimité de Piyangke avec sa mère ou avec son ami auraient été moins spontanés s’ils avaient su que je comprenais ce qu’ils disaient. Je découvrais après coup : chaque soir, un interprète traduisait les rushs de la journée et les sous-titrait à la seconde près.
La beauté plastique de Happiness n’est pas la moindre de ses qualités. Comment l’avez-vous obtenue ?
Pour la première fois, j’ai travaillé avec des optiques fixes de cinéma, qui ouvrent à 1.2 et permettent de tourner dans des conditions de quasi-obscurité. Cela nécessite un plus grand engagement, d’être toujours proche de ses protagonistes et d’avoir quelqu’un pour assurer le point en permanence. A 4 000 mètres d’altitude, c’est souvent dur physiquement ; mais ça vaut visuellement le coup, car cela donne aux images une texture extraordinaire.
Qu’est devenu Piyangke ?
Il est dans un plus grand monastère, où il étudie plus sérieusement qu’à Laya… tout en faisant toujours les quatre cents coups. J’adore son sourire face à l’existence, son goût de la transgression et, pour tout dire, je me sens à bien des égards proche de ce qu’il est.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles