MERCREDI 2 DECEMBRE 2015 à 20 h ▶ Koyaanisqatsi, de Godfrey Reggio
Koyaanisqatsi
de Godfrey Reggio
Etats-Unis – 1983 – 1h26′
Image de Ron Friecke et musique originale de Philip Glass.
Une expérience à partager sur grand écran.
Film culte ! Premier documentaire écologique, précurseur sur le plan formel, il se fait l’écho d’une prophétie des indiens Hopi (Arizona) annonçant la destruction de leur planète par les hommes.
Tourné comme un documentaire en images réelles (grandioses), sans acteurs, sans dialogues et sans commentaires, ce film nous montre notre planète et notre civilisation comme nous ne l’avons jamais vue… Images des éléments naturels, images des mégapoles et des foules humaines, au rythme de la musique de Phil Glass.
« Koyaanisqatsi ne raconte délibérément aucune histoire. Il s’agit avant tout d’une œuvre poétique, qui parle à l’intelligence par l’intermédiaire des sens. Pendant la gestation de son film, Reggio découvre trois prophéties hopi, qui vont orienter son travail : « Si l’on extrait des choses précieuses de la terre, on invite le désastre » ; « Près du Jour de Purification, il y aura des toiles d’araignées tissées d’un bout à l’autre du ciel » ; « Un récipient de cendres pourrait un jour être lancé du ciel et il pourrait faire flamber la terre et bouillir les océans ». Le film est composé de douze « chapitres » dont la succession n’est marquée que par la partition de Philip Glass, divisée en autant de « mouvements ». L’homme est absent des tout premiers chapitres : Reggio montre des images de nature vierge qui évoque les débuts du monde, sur un rythme lent et une musique répétitive, à la fois dépouillée et majestueuse. Au fur et à mesure, et avec quelques pauses, le film va s’accélérant avec l’apparition de l’activité humaine, et tandis que la mélodie se déchaîne jusqu’à une apothéose de bruit et de fureur les plans se succèdent de plus en plus frénétiquement, à la fois grâce au montage et par l’augmentation de la vitesse à l’intérieur des plans eux-mêmes. Le tout dernier chapitre, mélancolique et apaisé, s’achève sur un fond noir où s’inscrivent les prophéties hopi. Pas une seule fois dans le film on n’entendra une voix humaine. » Sébastien Chapuys
La genèse
En 1975, le documentariste américain Godfrey Reggio, qui s’était fait connaître en coordonnant pour l’Union Américaine pour les Libertés Civiles une campagne de sensibilisation sur les risques liés aux avancées technologiques (violation de la vie privée, contrôle des populations), entreprend de rassembler des images montrant les rapports de l’homme à son environnement. Venues principalement des États-Unis, la plupart sont directement tournées par le chef-opérateur Ron Fricke. Bénéficiant du soutien de Francis Ford Coppola, Reggio convainc le compositeur Philip Glass de réaliser la partition d’un film qui demandera au total six années d’efforts et de montage, et ne sortira qu’en 1983 sur les écrans américains. Au départ, il ne devait avoir aucun titre, mais pour des raisons légales d’exploitation, les auteurs sont contraints d’en choisir un ; ce sera Koyaanisqatsi, ce qui dans la langue des Amérindiens Hopi, peut signifier tout à la fois : « vie folle », « vie tumultueuse », « vie se désagrégeant », « vie déséquilibrée » et « un état d’existence qui exige un autre mode de vie ». Poursuivant ce qui deviendra l’œuvre de sa vie, Reggio réalisera deux « suites » à Koyaanisqatsi, toujours mises en musique par Philip Glass : en 1989, Powaaqatsi, produit par George Lucas, s’intéressera à l’occidentalisation du monde, puis en 2003, Naqoyqatsi, produit par Steven Soderbergh, s’attaquera au règne des images et à la violence des représentations. C’est sur près de trente ans que s’étale la « trilogie Qatsi ».
La musique
Philip Glass est déjà un compositeur très reconnu au moment où Godfrey Reggio fait appel à lui ; il est en effet l’un des chefs de file d’un courant musical – dit « minimaliste » et plus précisément « répétitif » – très influent dans la musique contemporaine américaine. Contrairement à celles d’autres représentants de cette école, ses œuvres, quoique exigeantes, restent relativement accessibles aux oreilles peu familiarisées, car leur teneur expérimentale n’annule pas leur charge d’émotion. Dans Koyaanisqatsi, la musique de Glass tient lieu de discours. Presque religieuse, elle appelle à entrer en transe durant les scènes lentes et contemplatives, puis son accélération démentielle éprouve autant les sens du spectateur que le déferlement frénétique des images (Koyaanisqatsi n’est pas un film reposant). Grâce au respect de Reggio pour le travail de Glass, le rythme des images est en parfaite osmose avec celui de la musique : contrairement à tant d’autres réalisateurs, il a monté ses images en fonction de la partition plutôt que d’exiger qu’elle s’adapte à ce qui était montré à l’écran.
Le discours
Koyaanisqatsi s’inscrit dans la lignée des mouvements contestataires des années 1970, qui ont vu les débuts de la prise de conscience environnementale. D’autres œuvres témoignant de préoccupations écologistes avaient déjà le jour (des romans de science-fiction notamment, mais aussi des films, dont le plus connu, Soleil vert, date de 1973), mais c’était la première fois qu’un auteur utilisait des images réelles pour alerter le public sur les risques que l’activité des hommes faisait peser sur leur milieu. Le film de Godfrey Reggio reproduit les ambiguïtés de cette époque (ambiguïtés qu’on retrouve encore aujourd’hui dans certains discours utopistes), c’est-à-dire qu’il oppose à la vie moderne – frénétique et aliénante – une nature vierge, présentée comme édénique et sereine, bienveillante et maternelle. Il semble implicitement proposer, comme solution aux problèmes de l’humanité… le retour à la vie sauvage. La référence à des prophéties amérindiennes participe de ce fantasme typiquement occidental. Mais le film ne peut pas se résumer à ce rousseauisme naïf : Reggio et son chef-opérateur Ron Fricke ne cherchent pas à enlaidir le monde contemporain, superurbanisé et surindustrialisé. Au contraire, ils l’esthétisent, en font ressortir toute la paradoxale splendeur. Sur l’écran, la ville se met à ressembler à un circuit informatique, à la structure complexe et fascinante. Dans d’autres plans, elle devient un organisme vivant, agité par les pulsations de la circulation automobile qui dans la nuit dessine un vaste réseau de veines flamboyantes. Tout à la fois fable écologiste, cri d’alarme et célébration de la puissance de la technologie, Koyaanisqatsi révèle la « beauté de la bête », pour reprendre l’expression de son metteur en scène, qui poursuit : « Le rôle du film est de provoquer, de soulever des questions auxquelles seul l’auditoire pourra répondre. » Une réelle liberté est ainsi laissée aux spectateurs, auprès desquels les auteurs ne se posent pas en directeurs de conscience.
Sébastien Chapuys
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles