JEUDI 28 JANVIER 2016 à 20 h ▶ Spartacus et Cassandra, de Ioanis Nuguet
Spartacus et Cassandra
de Ioanis Nuguet
France – 2014 – 1h 20′
Spartacus, jeune Rrom de 13 ans et sa soeur Cassandra, 10 ans sont recueillis dans le chapiteau-squat de Camille, une drôle de fée trapéziste qui prend soin d’eux, leur offre un toit et leur montre le chemin de l’école. Mais le cœur des enfants est déchiré entre l’avenir qui s’offre à eux… et leurs parents qui vivent encore dans la rue.
Ioanis Nuguet a passé trois ans auprès des Rroms de Seine-Saint-Denis. A la froide observation de leur vie, le jeune cinéaste préfère un film documentaire à « hauteur d’enfants », constitué de la somme de leurs regards, sentiments, pensées… Son cinéma direct en plans séquences s’ouvre à la fantaisie, à la musique, au Super 8, aux photos et animations, libre comme le slam de Spartacus. L’histoire de deux enfants qui, au bout de l’engrenage judiciaire, comprennent qu’à défaut de pouvoir sauver leurs parents, ils peuvent décider de se sauver eux-mêmes. Cruel dilemme pour ces petits héros dignes des frères Grimm, qui vont apprendre ce qu’il en coûte de prendre leur destin en main, et d’abandonner leurs parents au bord du chemin… Ioanis Nuguet compose avec empathie un « conte documentaire » à la fois tendre et rude, réaliste et poétique. Où dépassant la fonction de sujets-témoins de l’enfance rrom, Spartacus et Cassandra nous offrent la possibilité d’expérimenter l’absolue singularité de leur vie. Et de devenir les témoins de leur combat pour trouver une place dans ce monde qui souvent les rejette, pour rompre avec cette fatalité qui voudrait qu’ils n’aient d’autre existence que celle qu’on leur réserve, à la lisière de la société. Etre enfant, comme leur dit Camille, c’est continuer de rêver à une vie meilleure.
Ça commence avec leurs voix, leur journal-poème de la vie d’avant
Musiques, photos, animations, Super 8. On est dans un cirque. Spartacus et Cassandra rigolent, jouent au ballon, chantent, marchent sur un fil. Cinéma direct, plan séquence. On est dans un campement rrom. Les enfants ne veulent pas être placés dans une famille d’accueil, aller à l’école, quitter la rue. « Vous restez avec moi » dit le père, « jusqu’à présent je vous ai fait grandir. »
« Qu’est ce qui est meilleur pour Spartacus et Cassandra ? » La question du film est posée, déchirante ainsi que son style, réaliste et poétique, libre comme un flow de rap. Nous sommes avec les enfants. Nous partagerons la détresse d’être enlevés aux siens « pour son bien », mais aussi le tremblement devant la douceur d’une vie nouvelle. « Je ne sais pas si j’ai le droit » dit Spartacus. Savons-nous ce qu’il en coûte de devenir les parents de ses parents ? Est-il indispensable de perdre pour grandir ? Le cinéaste compose avec empathie un film tendre et rude, merveilleux, un grand film. Sa présence entière, l’ampleur de sa vision, sa musicalité et sa grâce offrent comme une réparation au chagrin de vivre dans un monde terrible. « Je vois mes parents toujours dans la merde » dit Spartacus, « parfois le paradis me dégoûte ». On en sort le coeur serré et pourtant joyeux. Comme une voix aimée dans la nuit, le malheur s’éloigne, il ne disparaît pas, à force de l’affronter le temps passe et nous transforme.
Pour Spartacus et Cassandra, c’est déjà demain.
Dominique Cabrera, cinéaste membre de l’ACID
Le Monde
Cela faisait trois ans que Ioanis Nuguet, jeune réalisateur de 31 ans passé par le théâtre et l’Indonésie, promenait sa caméra dans un campement rom quand, un beau soir, un petit bonhomme à la bouille ronde et au regard brûlant nommé Spartacus lâche un rap devant son objectif et, dans l’instant, le convainc de tourner un film sur lui. Le gamin et sa sœur Cassandra, respectivement 13 et 11 ans, traversent alors une situation impossible : hébergés dans un cirque sauvage bientôt démantelé en Seine-Saint-Denis, l’administration judiciaire les rattrape, leur enjoignant de choisir entre des parents qui vivent de mendicité dans la rue ou une famille d’accueil qui mettrait un toit sur leur tête et la stabilité dans leurs études. Le choix paraît tout indiqué ; pour les enfants, il ne l’est évidemment pas.
Si le mélange fiction-documentaire est devenu la tarte à la crème d’un certain cinéma d’auteur, Ioanis Nuguet, lui, filme sans se préoccuper des catégories, au plus près des êtres et de ce que leur réalité recèle de mythes en puissance. A commencer par les prénoms en titre des enfants, annonciateurs d’épopées, pour en arriver à cette nuée de proches qui les entourent : un père alcoolique, gros bébé immature et instable, sous les pleurnicheries duquel se cache une maîtrise ès manipulations et chantage affectif ; une mère pythie perchée entre ici et ailleurs, le visage taillé à la serpe et les yeux vert émeraude fichés dans une folie qui la rend absente à elle-même, jamais plus heureuse qu’à la cueillette du muguet ; enfin, Camille, une admirable jeune femme de 21 ans, d’une maturité bluffante, qui parle roumain, se bat pour faire vivre son cirque, prête main-forte aux enfants, leur sert de mère, de prof, de coach, de guide, d’amie. Des acteurs de haut vol, moins des personnes que des personnages déjà riches de mille fictions instinctives et qui scintillent dès qu’on les place devant une caméra. Celle-ci, d’ailleurs, semble d’une légèreté immatérielle, sachant admirablement se faire oublier.
Poème de l’enfance éclaté
Pris entre tous les feux, entre tous les discours, qu’ils soient d’intimidation ou d’apitoiement, Cassandra et Spartacus résistent, se tiennent droit et avancent comme ils peuvent, dans le rayonnement de leur jeunesse. Qu’ils soient des héros, c’est tout ce que le film essaie de nous dire. C’est peu, mais il ne faut pas oublier quel sinistre traité sociologique lesté de mauvaise conscience il aurait pu être. A la place, Nuguet entraîne sa caméra dans de subites embardées, reliant sans cesse ses personnages aux saillances du monde alentour, allant chercher tantôt un éclat de lumière, un bruissement de nature, une luisance du bitume, un recoin de chapiteau, comme pour saisir l’essence d’une liberté qui, malgré tout, traverse toute chose. Il en tire à l’arraché un poème de l’enfance éclaté et vivant, cassant les chronologies trop explicatives et les déterminismes indiscutables.
Mathieu Macheret
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles