JEUDI 24 MARS 2016 à 20 h ▶ Aprile, de Nanni Moretti
Aprile
de Nanni Moretti
Italie – 1998 – 80′
Nanni entre deux élections, Nanni et la gauche italienne, Nanni et sa comédie musicale sur un pâtissier trotskiste, Nanni et ses pannes d’inspiration et, surtout, Nanni et la paternité. De 1994 à 1997, trois ans de la vie d’un « splendide quadragénaire », cinéaste de son état. Avec cette chronique réjouissante, qui s’ouvre sur une déconfiture (victoire de la droite berlusconienne aux législatives), Nanni Moretti prolonge son Journal intime (1993). Joueur, il semble offrir, plus encore que dans l’opus précédent, une authentique tranche de vie, impudique et drôle.
Les Inrocks – Serge Kaganski
Tel Tintin (en Italie), Astérix (chez les cinéphiles) ou Woody Allen (sur sa Vespa), Nanni Moretti est devenu ce héros familier qui nous donne régulièrement rendez-vous sur les écrans. La question, pour lui comme pour ses illustres prédécesseurs, étant de nous surprendre et de nous rassurer à la fois, de contenter notre soif légitime de nouveauté tout en offrant les signes confortables de retrouvailles en terrain connu, de déambuler différemment à travers des repères habituels. De ce point de vue, Aprile s’acquitte parfaitement de la tâche paradoxale : ce nouvel opus semble avoir été fait à la fois contre et dans le sillage de Journal intime.
On s’en souvient, Journal intime était structuré en trois amples et beaux mouvements. Le Cinéma, la Société et l’Intime se succédaient ainsi, segments à la fois autonomes et se répondant les uns les autres à la façon d’un tableau en triptyque, ou comme les trois chapitres accomplis et bouclés sur eux-mêmes, constituant au final un beau roman fluide. Dans Aprile, le Cinéma, la Société et l’Intime continuent de s’entrelacer ; mais cette fois, la tresse devient inextricable, la fluidité est brisée par la fragmentation, l’amplitude des grands mouvements a laissé place à une suite de saynètes courtes et nombreuses… Aprile adopte la structure zappée, saccadée, fractale du hip-hop : c’est un film qui avance cahin-caha, qui carbure au doute, à la critique, au surplace et au retour en arrière, aux embardées et aux ellipses. Après le roman de Journal intime, voici le carnet de notes gribouillé au hasard des jours et des pages, le cahier de brouillon griffonné et raturé au gré des intuitions et des pensées.
Pourtant, sous ses airs aléatoires et fracturés, Aprile est un film limpide à suivre, fort plaisant à regarder. La première raison tient évidemment au personnage Moretti lui-même, à son corps burlesque et à ses saillies humoristiques régulières ; Aprile peut bien partir dans tous les sens, caler ou faire des embardées, le corps de Moretti est toujours là comme une balise qui fait masse, un point d’ancrage omniprésent, un centre structurant qui autorise toutes les libertés. La seconde raison tient à la structure souterraine du film, à la fois très simple et très solide. Le désordre apparent d’Aprile est ainsi ordonné par trois fils rouges : la naissance du fils Moretti, les élections législatives italiennes et les projets cinématographiques du cinéaste. On retrouve donc ici les trois motifs de Journal intime, les trois centres d’intérêt principaux de Moretti : la sphère privée, la sphère politico-sociale et, entre les deux, la sphère cinématographique. Sauf qu’ici, au lieu de jouer ses trois cartes successivement, Moretti les mélange en permanence : les trois sphères sont décidément trop emboîtées les unes dans les autres.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles