MARDI 5 AVRIL 2016 à 20 h ▶ La mort du dieu serpent, de Damien Froidevaux
La mort du dieu serpent
de Damien Froidevaux
France – 2014 – 91′
Suite à une bagarre qui tourne mal, Koumba, 20 ans, est expulsée au Sénégal. Arrivée en France à l’âge de 2 ans, elle avait négligé de demander la nationalité française à sa majorité. La jeune parisienne agitée se retrouve en 48h dans un village sénégalais perdu dans la brousse, loin de sa famille et de sa vie à Paris. Récit de cinq ans d’exil : du fait divers à l’épopée tragique.
Dossier de presse
Note du réalisateur
C’est une amie avocate qui m’a raconté l’histoire de Koumba. Je lui téléphone pour la première fois un soir de décembre 2007. Son accent de jeune fille des quartiers se perd dans la nuit. Elle me parle du village où elle habite depuis son expulsion, aux confins du fleuve Sénégal. Ce soir-là, l’Afrique me semble étrangement loin.
Lorsque j’arrive au Sénégal pour commencer le film avec elle, Koumba enrage et se révolte. L’injustice de l’expulsion a laissé une blessure ouverte. Elle ne cherche pas à comprendre les Sénégalais, elle les rejette. La première chose qu’elle fait avec moi, c’est de remettre à plus tard le début du tournage. Elle me dit qu’elle entend, partout derrière elle, le cruel sobriquet Toubab Bougnoule : Koumba la blanche nègre. Elle me rabroue, me demande ce que je fais là, qui je suis, et pourquoi je la filme.
Face à l’agitation de Koumba, la mise en scène est mise à nue. La question du filmeur qui modifie subtilement ce qu’il filme éclate dans une pagaille haute en couleurs. Dès le départ, elle me fait basculer dans le film avec elle, de l’autre côté du monde. « C’est comme si on envoyait ta fille… au Tchad ! » Elle m’interpelle et, à travers le film, bouscule chacun de nous : Français, Européens, Occidentaux mais aussi Sénégalais, Africains, immigrés… Koumba interroge avec force les contradictions du monde contemporain.
Elle n’est pas l’héroïne attendue : c’est ce qui me plaît chez elle. Elle n’est pas une première de la classe. Elle est velléitaire, colérique, de mauvaise foi, bagarreuse. Mais elle se révèle aussi généreuse, sensible, douce, comique.
Le tournage a duré plus de cinq ans. L’archétype social est tombé. Koumba est devenue, à mon sens, l’héroïne d’une épopée tragique à la mesure de son exil.
La mort du dieu serpent n’est pas de ces films militants qui forcent le réel et la vie à entrer dans le schéma d’une défense – fût-elle légitime – d’une idée. C’est un film puissamment politique, c’est-à-dire un film qui va à l’écoute de son sujet et ne l’emprisonne pas dans l’illustration d’une thèse.
La mort du dieu serpent est un film politique parce qu’il est d’abord le regard accordé aux interstices que les discours oublient ou négligent de voir et de dire. Il prend le temps d’accompagner l’après du départ. Le film commence là où l’information, l’actualité s’arrêtent. Il nous montre l’humanité d’un parcours et nous renvoie à la question de l’humain derrière l’anonymat des statistiques de « reconduites à la frontière », comme on dit pudiquement. Politique, le film de Damien Froidevaux l’est, parce qu’il ne cherche pas à nous édifier, mais à nous réveiller.
Laurent Mauvignier
Le blog documentaire – Fanny Belvisi
Au travers de la figure de Koumba, personnage principal du film La mort du dieu serpent, se dessine en creux celle du héros de la mythologie grecque : Ulysse. Elle aussi est partie en voyage (forcé, certes) et rêve de revenir à son point de départ auprès des siens. Elle aussi doit affronter des monstres qui tentent tous de la faire dériver de sa quête, de l’absorber et de l’anéantir. Elle aussi a l’épaisseur d’une héroïne fuyant le chant des sirènes pour n’écouter qu’elle-même et tenir ainsi son cap.
Le film suit les soubresauts et les évolutions de ce personnage en trois phases. La première voit Koumba exulter de rage, et expulser le Sénégal de tout son être. Son corps même, sa maigreur et sa fragilité disent le refus d’être en contact avec ce nouveau pays. Dans la deuxième, Koumba semble avoir accepté son sort. Réalité ou feinte ? Là encore, le corps parle : la rondeur, l’élasticité et l’épanouissement de ses formes, ainsi que l’explosion des couleurs des tissus sénégalais dont elle se pare, indiquent au spectateur que Koumba s’est accoutumée à son pays d’adoption et ce, en dépit du drame qu’elle vient de vivre (sa petite fille vient de mourir). Pourtant, la maladie qui la gagne à la fin de ce deuxième temps trahit le mal du pays qui continue à la ronger silencieusement, sournoisement. Enfin, le troisième et dernier temps présente encore une nouvelle version de Koumba, changée, ressemblant toujours plus à une Sénégalaise du Sénégal. Cette fois-ci, elle paraît réellement apaisée. Pourtant, le désir du retour est toujours là. L’ombre de la France continue de planer sur le littoral de Dakar. Mais porté par la figure enfantine de Ladji, son petit garçon, l’horizon semble plus doux, le ciel plus serein. La mer n’est plus seulement une immense barrière à franchir ; elle est aussi un appel vers un futur possible, probable, idéalisé.
Ulysse des temps modernes, Koumba se métamorphose ainsi sous nos yeux, tant et si bien qu’il peut sembler au spectateur de faire face à trois personnages différents ; chacun mourant à lui-même à chaque aller-retour du réalisateur. Seule la quête du retour demeure. Fil conducteur du film, c’est elle qui relie les fragments éclatés de ce personnage qui ne cesse de s’éteindre et de renaître de ses cendres.
Le film de Damien Froidevaux est éminemment politique. A l’heure où l’accueil des réfugiés (syriens, notamment) en France réinterroge la question de l’immigration dans notre pays, il est évident que le sort de Koumba résonne amèrement. Le film crie l’actualité tout en la dépassant puisqu’il commence là où les médias s’arrêtent : Koumba a déjà été expulsée et le film s’attache à la montrer dans sa nouvelle vie de recluse, luttant contre des démarches administratives kafkaïennes.
Damien Froidevaux nous met cette réalité sous les yeux, sans jamais tomber dans la démonstration ou dans la moralisation. Il faut dire que Koumba empêche à elle seule toute simplification. Elle est certes emprisonnée dans un pays, mais finalement pas dans son corps ni dans son langage qui trahissent une vraie liberté et une réelle insoumission.
Avec elle, le réalisateur et sa caméra ne sont jamais en repos. Sans leur en demander la permission, elle les embarque (et du coup, le spectateur avec) dans son tourbillon de colère, de rage, de joie, de mots/maux. Le film tire une grande partie de sa force de l’intranquilité de la relation entre le réalisateur et son personnage. Rien n’est jamais acquis entre ces deux là, et le pacte filmée/filmeur est sans cesse ré-énoncé, réitéré, bousculé, remis en question, tant et si bien que le spectateur avance lui aussi sur une crête, hanté par ces interrogations : « Va-t-on aller au bout ? Le réalisateur va-t-il abandonner le projet et me laisser sur ma fin ? »
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles