JEUDI 28 AVRIL 2016 à 20 h ▶ Taxi Téhéran, de Jafar Panahi
Taxi Téhéran
de Jafar Panahi
Iran – 2015 – 1h 22′
Installé au volant de son taxi, Jafar Panahi sillonne les rues animées de Téhéran. Au gré des passagers qui se succèdent et se confient à lui, le réalisateur dresse le portrait de la société iranienne entre rires et émotion…
Le Monde – Thomas Sotinel
A ceux qui l’ont condamné à ne plus exercer son métier – réalisateur de cinéma – Jafar Panahi fait mine d’offrir le cadeau de leurs rêves : le spectacle d’un cinéaste qui gagne sa vie comme chauffeur de taxi. C’est exactement ce que voulaient les autorités de Téhéran quand, en 2010, elles lui ont interdit jusqu’à nouvel ordre de réaliser des films ou d’écrire des scénarios : le dépouiller de son statut d’artiste.
Bien sûr, Taxi Téhéran, qui montre Jafar Panahi conduisant dans les rues de la capitale iranienne, est très exactement le contraire d’un acte de reddition. C’est une bordée de quolibets à l’endroit des censeurs, mais aussi un film d’une habileté cinématographique et d’une acuité politique hors du commun.
Interdit de sortie du territoire iranien, le réalisateur du Ballon blanc (1995) s’était, depuis sa condamnation, assigné à domicile, réalisant chez lui deux longs-métrages, Ceci n’est pas un film (2011) et Closed Curtain (2013). Leur présentation à Cannes et à Berlin ne valut pas à Panahi d’être envoyé en prison. Ces films n’ont pas été distribués ou diffusés en Iran.
Un studio mobile
Avec Taxi Téhéran, Jafar Panahi retrouve le grand air. Fixant trois caméras discrètes mais visibles (le premier des passagers que l’on découvre à l’écran prend l’une d’elles pour un dispositif antivol) dans l’habitacle d’un taxi, ouvrant le toit du véhicule pour que la lumière y entre mieux, le réalisateur a transformé une voiture de tourisme en studio mobile.
Se succèdent sur sa banquette une série de personnages qui semblent, de premier abord, constituer un échantillon représentatif d’une société : les pauvres et les riches, le secteur formel et l’informel, les conservateurs et les contestataires, les hommes et les femmes. Chaque passager se voit proposer sa dramaturgie, comique ou tragique. […]
Les images et leur pouvoir
On peut ainsi à chaque séquence cocher une petite croix en face des sujets de société : persistance de la superstition dans une société monothéiste rigoriste, problèmes liés à la minorité juridique de la femme dans le droit iranien… Ce ne serait déjà pas mal puisque chacune de ces vignettes est mise en scène avec une fluidité étonnante – étant donné le dispositif des caméras fixes – et interprété avec un allant démonstratif qui tend à remettre en question le statut d’amateur qui est, le cinéaste l’a juré, celui des interprètes. Un doute renforcé par la remarque incisive d’un passager cinéphile qui, montant dans le taxi, apostrophe Panahi : « C’étaient des acteurs, les gens qui viennent de descendre ? La phrase qu’a dite le monsieur ressemblait beaucoup à celle dans la scène du café de Sang et or [2003].
C’est, dans la chronologie du film, le premier indice de son propos central. Les images, leur pouvoir de représentation et de dissimulation, sont le carburant qui meut le Taxi de Panahi. La preuve de son bon droit que l’épouse éplorée réclamera au chauffeur qui a récupéré son téléphone, les DVD pirates que commercialise un extraordinaire vendeur à la sauvette et, surtout, le petit film que la nièce de Jafar Panahi (une chipie à la langue aussi acérée que l’esprit) doit réaliser dans le cadre de ses études sont les éléments d’une mosaïque. A cette occasion, s’engage un dialogue entre le cinéaste déchu et l’élève préadolescente. Le premier tente d’éclairer la seconde sur la toxicité, mais aussi l’impuissance, de la censure, pendant que l’autre se demande comment mettre en œuvre les commandements contradictoires du cinéma orthodoxe – qui doit représenter la réalité sans en montrer les côtés sombres.
Jafar Panahi est parvenu à se moquer des interdictions et à envoyer son film à Berlin, où il a reçu l’Ours d’or. Et l’on peut imaginer que, parmi les détenteurs du pouvoir à Téhéran, certains s’en trouvent fort marris. Plutôt que fulminer, ils feraient mieux de regarder Taxi Téhéran avec attention : patiemment, joyeusement (le film est étonnamment dépourvu de colère), Jafar Panahi leur explique comment les images se forment, s’assemblent et se propagent sans que jamais aucun fonctionnaire ne puisse s’en rendre tout à fait maître. Les seuls qui peuvent prétendre à ce pouvoir sont les artistes.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles