JEUDI 24 NOVEMBRE 2016 à 20 h ▶ Je suis le peuple, de Anna Roussillon
Je suis le peuple,
de Anna Roussillon
France – 2014 – 1h 51′
« La révolution ? T’as qu’à la regarder à la télé ! », lance Farraj à Anna quand les premières manifestations éclatent en Egypte en janvier 2011. Alors qu’un grand chant révolutionnaire s’élève de la place Tahrir, à 700km de là, au village de la Jezira, rien ne semble bouger. C’est par la lucarne de sa télévision que Farraj va suivre les bouleversements qui secouent son pays. Pendant trois ans, un dialogue complice se dessine entre la réalisatrice et ce paysan égyptien : lui, pioche sur l’épaule, elle, caméra à la main. Leurs échanges témoignent du ballottement des consciences et des espoirs de changement. Un voyage politique au long cours, profond mais aussi plein de promesses pour le peuple égyptien.
J’ignore l’impossible, je ne préfère rien à l’éternité, mon pays est ouvert comme le ciel, il embrasse l’ami et efface l’intrus.
Je suis le peuple, chanson d’Oum Kalthoum
ACID
Je suis le peuple, d’Anna Roussillon est un grand film documentaire, de ceux qui nous accompagnent durablement, tant la sensation est forte d’avoir, le temps du film, fait de belles rencontres, inattendues, inoubliables. Il s’appelle Farraj ; avec lui c’est toute une famille que nous découvrons, ses voisins, ses amis. C’est un petit peuple, celui d’un village non loin de Louxor, à 700 km au sud du Caire. Anna Roussillon a rencontré Farraj en 2009 au détour d’un champ, ils sont devenus amis. Elle nous convie à cette amitié qu’elle met en scène avec un immense talent. En 2011 quand la révolution éclate en Egypte, elle décide de filmer loin de la place Tahrir, chez Farraj et les siens. Spectateurs de la chute du régime de Moubarak qu’ils suivent sur un vieux téléviseur, ces villageois sont aussi de vrais révolutionnaires. Anna Roussillon partage avec eux l’enthousiasme de ce vent de liberté, les espoirs de changement, et les doutes… loin de la capitale rien ne semble vraiment bouger. Mis en scène à hauteur d’hommes, le film se construit comme un huis clos à ciel ouvert, dans un village entouré de champs, isolé du tourment qui agite le Caire. Farraj et les siens y expérimentent la démocratie. À leurs côtés, avec lucidité, humour et générosité, la cinéaste nous offre une belle leçon de politique et d’humanité.
Régis SAUDER et Marianne TARDIEU, cinéastes membres de l’ACID
Bien avant la révolution égyptienne, Anna Roussillon projetait de faire un film sur la vie quotidienne de Farraj et de sa famille dans le village de La Jezira, au sud de Louxor. Après que la place Tahrir soit devenue l’épicentre des bouleversements politiques du pays, elle décide de retourner auprès d’eux. Loin du Caire, la réalisatrice se détourne alors des images spectaculaires que nous connaissons pour se concentrer sur ceux qui les regardent et vivent la révolution loin des événements. Son choix débouche sur un film d’immersion poignant, dont la grande réussite tient au rapport intime qu’elle tisse avec une révolution bien plus profonde que le renversement d’un régime politique.
Cheminement
Dans Je suis le peuple les manifestations du Caire n’apparaissent quasiment que via des écrans de télévision. Il y a tout d’abord le poste devant lequel se tient la réalisatrice rentrée en France, qui n’en revient pas d’avoir quitté l’Égypte à la veille de la révolution. Puis il y a la télévision de Farraj, le premier lien entre la famille et la place Tahrir, qu’Anna Roussillon filmera régulièrement. On y scrute les images désormais célèbres de la place envahie par la foule, poings et drapeaux levés, ou encore le visage défait de Moubarak derrière les barreaux, spectacle littéralement incroyable pour les habitants de La Jezira. S’il est admis que les révolutions se nourrissent d’instants partagés dans l’exaltation, comment se traduisent-elles dans un environnement dont le quotidien reste en apparence inchangé ? Voilà la question passionnante qui nourrit le film Anna Roussillon, et ce qu’elle parvient à révéler, en plus d’être très beau, est essentiel.
Véritable centre de gravité du film, Farraj, père de famille et paysan, est au cœur de l’attention de la documentariste. Observé à son échelle, la révolution s’apparente davantage à un processus qu’à un événement. Inscrite sur un temps long et restituée comme une expérience personnelle, elle est filmée comme un cheminement semé de peur, d’hésitations, de retours en arrière, de fierté blessée et de redécouverte d’un nouveau langage. Assumant sa présence derrière la caméra, Anna Roussillon sonde les émotions de Farraj et de ses proches, sans oublier de révéler les siennes. C’est la relation d’amitié qui se noue de part et d’autre de la caméra qui nous donne alors un point d’ancrage à ce processus de changement en marche. Les contradictions de comportement de Farraj ne sont pas filmées pour elles-mêmes, mais comme les différentes étapes d’un cheminement lent, que la réalisatrice prend le temps de suivre sur deux ans et demi.
De part et d’autre de la caméra
La présence de la caméra reste ainsi constamment perceptible, nourrissant le propos du film bien plus qu’elle ne le gêne. Car ce qui est dit est filmé, chacun en a bien conscience : il faut désormais choisir, argumenter, convaincre, s’afficher, sur un terrain qui était bien plus difficile à arpenter quelques mois plus tôt (soit du fait de la censure, soit comme conséquence de l’inéluctable acceptation). La reconquête de ces émotions, celles du plaisir de s’exprimer, apparaissent comme la base même de la révolution. On revient à un rapport intime du politique, qui avait déjà été abordé l’année dernière dans Territoire de la liberté d’Alexander Kouznetsov, comme s’il fallait finalement reprendre à zéro, se souvenir de la sensation même de la démocratie, la réapprendre, et par la suite l’entretenir, constamment. La réalisatrice parvient à capter cette prise de conscience précieuse d’un citoyen de son propre pouvoir, et de son appartenance à un groupe plus large, détenteur de la plus grande force politique qui soit : le passage du Je au Nous, non plus à dimension familiale ou professionnelle, mais dans une veine politique. Les femmes en revanche, auxquelles la réalisatrice porte une attention particulière, semblent quant à elles plus détachées, arguant que rien ne changera réellement quel que soit le résultat, s’en prenant même à Anna Roussillon et à son mode de vie occidental – avec humour certes, mais fermeté. Ces étonnantes séquences en demi-teinte apportent au film une richesse supplémentaire, révélant encore un peu plus le difficile exercice d’écoute et de compréhension mutuelles.
De part et d’autre du film
En se laissant aller elle-même à ce tourbillon révolutionnaire, Anna Roussillon parvient ainsi à saisir un souffle bien plus éloquent que les bourrasques médiatiques auxquelles nous sommes habitués. Je suis le peuple est un film qui ouvre le champ des possibles du fait même qu’il se détourne d’un traitement événementiel de son sujet, pour capter le temps qui passe et qui fait son œuvre dans les esprits. Les dissensions culturelles et politiques qu’il dévoile deviennent ainsi le moteur même du processus en marche, et les disputes entre les personnages des étapes parmi les plus riches de ce renouveau. Dans la chaleur d’une soirée calme, ou à la suite d’une naissance, la révolution s’inscrit dans un quotidien : il s’agit d’un moment avec son fils, d’une conversation entre voisins teintée de mauvaise foi, ou d’une colère contenue envers soi-même. Les choses ne sont pas tellement améliorées en apparence, en témoignent les pénuries. Et pourtant la démocratie se dévoile dans un rapport au monde renouvelé. Elle se révèle peu à peu non pas comme une victoire matérielle ni une adhésion sans réserve à un mouvement d’opinion, ces mensonges sans cesse réitérés, mais plutôt comme une remise en cause permanente, une lutte qui jamais ne finit. Et le cheminement passe par cette prise de conscience qu’une fois le dictateur déchu, la démocratie se retrouve avant tout menacée par ceux qui s’en réclament dès lors qu’ils prétendent au pouvoir. En témoigne l’intervention dans les dernières minutes du film d’Al-Sissi, réclamant l’union sacrée autour de l’armée face à la menace du terrorisme. Mais point de pessimisme ici, et la panne de courant qui vient interrompre son discours est un heureux hasard, offrant l’occasion de se rappeler comme Farraj que désormais, il y aura toujours la place Tahrir.
Adrien Mitterrand
Entretien avec Anna Roussillon
Tess Magazine : Vous avez commencé à filmer avant la révolution. Quel votre sujet de départ?
Anna Roussillon : J’ai rencontré Farraj par hasard à l’été 2009, soit bien avant la révolution mais aussi bien avant que l’on imagine qu’un tel ébranlement pouvait arriver. J’étais seule à Louxor. Je travaillais aux repérages et à l’écriture d’un film-essai sur le tourisme de masse, ses rituels, ses questions, ses conflits… J’expérimentais la place du touriste dans ce pays où j’ai grandi, que je connais et dont je parle la langue. Mais je n’arrivais pas à avancer. J’avais le sentiment de courir au rythme trop effréné des visites touristiques. Et puis un jour d’août 2009, je sors filmer des champs fraîchement irrigués quand un paysan est apparut de derrière un mur éboulé. C’était Farraj. On s’est donc rencontrés, lui la pioche sur l’épaule, moi, la caméra à la main. J’ai tout de suite filmé chez lui, au début, sans idée précise. Je filmais la joie de la rencontre. Puis je suis revenue le voir à l’été 2010, puis en janvier 2011. Lors de ce dernier voyage, avant de rentrer à Paris et à quelques jours du 28 janvier 2011 qui a fit basculer tout le pays dans un inconnu politique, j’ai annoncé à Farraj que je voulais faire un film avec lui et sa famille, au village. Un film encore flou et incertain, sur la façon dont on habite ici comme dans un centre du monde alors que tout au dehors – les touristes qui passent et les bus qui foncent sur la route, les forces économiques et politiques – désigne cet endroit comme une marge de la société.
La révolution en elle-même n’apparait qu’après dix minutes de film. Pourquoi ne pas avoir immédiatement attaqué avec ce sujet ?
Pour moi il était évident que le film devait commencer avant la révolution, parce qu’il vient de ma rencontre avec Farraj. Ce qui m’a donné envie de rester là-bas alors que la révolution – du moins sa partie immergée – se passait ailleurs, c’est précisément l’existence d’une relation et d’une amitié avant la révolution. Je ne suis pas arrivée là-bas parce que je cherchais à filmer la révolution de loin, j’ai filmé la révolution de là où j’étais arrivée, avec les gens avec qui j’étais et que je voulais entendre me parler de ce que c’était pour eux. On s’intéresse à la révolution parce qu’on veut comprendre, voir, sentir ce que les personnages qui existent déjà en pensent, s’en disent, et non l’inverse. C’était très important pour moi.
« Je ne suis pas arrivée là-bas parce que je cherchais à filmer la révolution de loin, j’ai filmé la révolution de là où j’étais arrivée. »
Lorsque la révolution a démarré, avez-vous réalisé à quel point cela allait bouleverser le film ?
Juste après avoir annoncé à Farraj que je voulais faire un film avec lui et que je reviendrais à l’été, j’ai pris l’avion le 27 janvier 2011, la veille du « Vendredi de la colère » où tout le monde a compris qu’il se passait vraiment quelque chose. J’ai été très affectée de ne pas être en Égypte à ce moment-là. Je fulminais à Paris d’avoir pris cet avion alors que le lendemain l’aéroport avait été fermé et que je n’aurais plus pu partir. Dans le film on voit l’unique conversation skype que l’on a pu avoir, Farraj et moi, pendant la révolution. Nous étions tous les deux loin du centre des événements. Nous regardions tous les deux la télé pour savoir ce qui se passait, sans pouvoir vraiment y participer. Il y a bien eu des manifestations à Louxor, mais le sud est globalement resté assez calme par rapport au Delta, où se situent toutes les grandes usines textiles et où il existe une vraie tradition de militance et de mobilisation. A Louxor, absolument rien de cet ordre. Je suis retournée en Égypte en mars 2011. Sur la place Tahrir, d’abord, qui était encore occupée. Au village aussi, où pas grand chose ne semblait avoir concrètement bougé. Mais où tout le monde ne parlait que de ça.
Avez-vous envisagé de vous rapprocher de l’épicentre de la révolution ?
J’avoue m’être parfois demandée si je devais rester au village, dans ce lieu qui demeurait apparemment immobile alors que tout, au nord, craquait dans un élan révolutionnaire. J’aurais pu partir et expérimenter d’autres façons de filmer la rupture, la lutte et les vies qui basculent dans un inconnu politique. Mais en mars 2011 j’ai décidé de rester. Je savais alors que mon film ne pourrait plus ressembler à ce que je commençais à imaginer. Parce que je ne pouvais pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Comme si cette campagne, même lointaine, vivait à l’écart du monde. Parce que ce n’est pas vrai, mais aussi parce que c’était une sorte de devoir, dans mon lien à l’Égypte, d’essayer de rendre compte, de là où j’étais et comme je pouvais de ce que cet immense ébranlement allait produire. Je savais aussi dès ce moment-là que l’on ne verrait pas d’images habituelles de la révolution : les manifestations, les militants, les affrontements avec la police, les chars dans les rues, les corps des martyrs… Parce que ce n’est pas ce qui se passait au village. Ça a d’ailleurs parfois été très dur pour moi d’être au village, apparemment immobile, alors que le Caire et le Nord craquaient de toutes parts. J’avais envie de participer à cela aussi, en tant que personne… Pour le reste, je ne savais pas quelle direction tout cela allait prendre. Cette forme de conversation politique ininterrompue entre Farraj et moi sur la révolution, on l’a trouvée et élaborée ensemble au fur et à mesure.
Le film parle d’avantage du regard sur la révolution que de la révolution elle-même. Pourquoi cette approche ?
Je n’ai jamais sérieusement pensé me concentrer sur les événements au Caire, place Tahrir, par exemple. D’abord parce que plein d’autres le faisaient, sûrement beaucoup mieux que moi. Ensuite, parce que travailler dans l’urgence de l’événement n’a jamais été mon mode de travail. J’ai besoin de temps, d’établir des relations avec les gens que je filme. Enfin, parce qu’une des questions qui m’occupaient l’esprit était ancrée dans ce village : comment se transmet une onde de choc faite de tensions, d’affrontements, de revendications, d’espoirs, de colère et d’impatience, quand rien de solide devant soi ne bouge, quand la terre que l’on foule ne tonne pas du bruit des pierres jetées de derrière les barricades, quand on n’entend ni le crissement des chenilles des tanks, ni les balles qui fusent, quand personne ne se rassemble ou ne crie. Comment vit-on une révolution qui se manifeste comme en creux, dans la disparition des touristes et des bouteilles de gaz ? Se sent-on y appartenir, y trouve-t-on une place, y formule-t-on des espoirs ? J’ai donc choisi de m’éloigner de l’urgence, comme un contre-champ nécessaire.
Le film parle également, tout simplement, du quotidien des habitants de ce village. Cette seconde histoire dans l’histoire est-elle aussi importante pour vous que la première ?
Il y a effectivement deux lignes de récit dans le film. Farraj a les pieds dans la boue de son champ irrigué et la tête dans la télé de la révolution. Ce sont ces deux dimensions ensemble qui m’intéressent, pas l’une indépendamment de l’autre. Pour moi ce que dit Farraj prend du sens par rapport à ce que l’on voit de sa vie et non dans l’absolu. Toutefois, du point de vie de la construction du film et du montage, entremêler ces deux histoires n’a pas été une mince affaire. Le volet politique va à toute vitesse, évolue avec des rebondissements et un suspens propre et il faut le rendre compréhensible pour des spectateurs qui ne sont pas nécessairement au fait de toutes les subtilités de la politique égyptienne de ces trois dernières années ! Le temps de la vie quotidienne en revanche, est beaucoup plus sourd, plus immobile, plus lent. Le contraste entre ces deux temporalités est passionnant mais compliqué à manier.
La télévision de Farraj constitue un autre élément central de votre récit… Selon le père elle est même « synonyme de joie ». D’où vient l’importance qui lui est accordée ?
La télé est effectivement un point central de la maison, là où tout le monde dort, par ailleurs. Le soir au village, il n’y a qu’une distraction : regarder la télé. Des émissions politiques pour Farraj, des dessins animés ou des films de vampires sous-titrés en arabe pour les enfants ou encore des matchs de catch pour tout le monde… C’est par là que le reste du monde et la révolution s’invitent chez Farraj. La télévision fait office de fenêtre sur ce qui se passe ailleurs. Mais elle est aussi le lieu à partir duquel se pose la question de la représentation des évènements. Farraj s’interroge souvent sur la façon dont les choses lui sont montrées. Le film prend lui aussi en charge cette réflexion : comment la télé montre-t-elle les évènements ? Quelles sont les images qui peuvent montrer la révolution : celle de manifestations que Farraj voit à la télé ou bien lui-même regardant la télé ? La révolution se filme-t-elle dans le feu de l’action de la grande ville ou bien dans l’immobilité troublée de la campagne ?
Les réactions des enfants sont passionnantes. Ils crient des slogans politiques. La fille déclare même que si elle était juge, elle condamnerait le président Moubarak à la peine de mort, sans procès…
Un jour Farraj m’a signalé comment l’une des conséquences de la révolution le fait que « Maintenant tout le monde dans les maisons, même les femmes et les enfants, savent ce que veut dire « constitution », « élections » ou « parlement » ». C’est un peu ça que j’ai voulu éprouver… Les enfants jouent avec les slogans, les avalent, les crient, les déforment. Ils ne les comprennent pas toujours mais ce sont eux qui vivront dans ce que l’Egypte sera devenue après ce grand ébranlement.
On constate à l’écran que le père est semble beaucoup plus concerné par la révolution que sa femme, qui reste sceptique. Est-ce une répartition des rôles par genre typique de la société égyptienne ?
La façon dont les gens parlent de politique est très fortement genrée au village et je pense que c’est le cas dans toute les classes populaires en Egypte. Bien que les femmes aient le droit de vote par exemple, la plupart ne sont pas allées voter au village. A aucune élection. Un jour, je demandais à Bata’a, la voisine de Farraj, si elle avait été voter pour les élections présidentielles et elle m’a répondu : « Non. J’étais de corvée de pain ! ». Je lui ai fait remarquer qu’il y a avait trois jours de scrutin et qu’elle aurait très bien pu y aller le lendemain. Elle m’a répondu : « Je devais nettoyer la maison, m’occuper du poulailler, que sais-je encore ? Tu crois que j’ai que ça à faire ?! » Au village, les femmes ne se sentent en général pas légitimes pour se prononcer sur la vie publique, qui reste, vraiment, une affaire d’hommes. Plus largement, les femmes ne voulaient pas tellement être filmées et j’ai du longuement négocier avec la femme de Farraj et avec sa voisine pour qu’elles acceptent de se laisser filmer.
Le film s’achève là comme il a commence, dans le noir profond, suite à une coupure d’électricité. Doit-on en conclure que finalement, rien n’a changé ?
Chacun doit faire sa lecture propre de cette coupure d’électricité finale. Elle inscrit la pénurie au cœur de la vie paysanne, mais elle se met aussi, en porte-à-faux avec le discours politique puisqu’elle intervient au milieu d’un discours de Abd al-Fattah al-Sissi [le nouveau président Egyptien, depuis juin 2014, ndlr] demandant à la population de lui accorder un « mandat » pour combattre en son nom « la violence et le terrorisme ». En éteignant la télé au milieu de sa phrase, la coupure de courant lui coupe littéralement la parole. Elle rappelle que le discours politique nationaliste ainsi que ce qui occupe le discours d’al-Sissi sont des faux-semblants. L’histoire se répète et en même temps tout a changé. Les militaires reviennent au pouvoir, l’Ancien régime est de retour, mais en même temps Farraj, et beaucoup d’autres comme lui, ont effectué un chemin lent et profond qui prépare, je le souhaite ardemment, la révolution à venir.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles