MERCREDI 6 FEVRIER 2019 à 20 h : Le Rêve de Gabriel, de Anne Lévy-Morelle
Le Rêve de Gabriel
de Anne Lévy-Morelle
Belgique – 1996 – 1h 23
En 1948, quatre familles belges, nombreuses et fortunées, vendent tous leurs biens et embarquent sur de grands navires à destination de l’autre hémisphère, jusqu’en Patagonie chilienne. Un voyage en principe sans retour, à la poursuite d’une autre vie, voulue par un homme qui n’a, en apparence du moins, rien d’un révolutionnaire : Gabriel de Halleux.
Voici une histoire épique et vraie, racontée par une conteuse-brodeuse d’archives, de témoignages et de paysages grandioses.
Le film questionne l’acharnement d’un chef de famille à vivre son rêve et le mystère des forces de séduction de cet endroit lointain, âpre et venteux.
Le Rêve de Gabriel est la « matrice » des « épopées authentiques » en tant que genre. Il a émerveillé des milliers de spectateurs et reste toujours aussi actuel. Peut-être parce qu’il traite d’une question universelle qui ne vieillit pas : comment réinventer sa vie ?
De Gabriel, j’ai appris deux choses :
Un : Quand je m’ennuie, c’est signe que je ne suis pas sur mon chemin. C’est un avertissement à changer.
Deux : Quand ma route est dure et difficile, quand les autres ne comprennent pas où je vais ni pourquoi j’y vais, ça ne veut pas dire que je me trompe.
Anne Lévy-Morelle
Préface d’Anne Lévy-Morelle
Techniquement parlant, Le Rêve de Gabriel est un documentaire : sans acteurs, à base de recherches, d’archives et de témoignages. Pourtant, je n’ai pas l’impression que l’appellation « documentaire » soit complètement satisfaisante. Le film raconte une histoire, en respectant les traditions dramaturgiques des conteurs de tous les temps, depuis Les Mille et une nuit jusqu’à Hollywood. La plupart des documentaires ne font pas ça, ou alors de façon bien plus minimaliste. […] J’ai décidé d’ajouter un nom dans le formulaires des festivals : épopée authentique.
Faire éclore cette épopée authentique sur les écrans a été une longue et passionnante aventure. Je ne pense pas seulement à l’émotion de la cinéaste qui a vu se concrétiser son premier long métrage : un film, c’est aussi une aventure collective, portée per une équipe. Or, du producteur à l’ingénieur du son, tous ont été marqués par le fait de marcher sur les traces de Gabriel. Il y a eu un « avant-Gabriel » et un « après-Gabriel » dans nos vies, et ceci dépasse largement la personnalité même de Gabriel, par un phénomène que je ne m’explique pas bien. Nous étions à l’origine une équipe de professionnels partis en Patagonie rendre compte de l’aventure hasardeuse d’une colonie belge partie s’installer sur les terres impossibles… et nous sommes peu à peu devenus assez « patagons » pour rêver à notre tour, tous ensemble, d’un hectare de désert ou de marécages, un hectare symbolique situé dans cet improbable coin du monde. […] Mais cet hectare symbolique, aucun de nous n’y a renoncé, je crois, et à y regarder de plus près, c’est dans la tête et dans le cœur que nous le portons, où que nous soyons.
Car la Patagonie, prise au sens le plus large, c’est un espace mental : le vent y devient le souffle vital, cette force qui tire et pousse à ne pas se contenter de ce qui est sous notre nez, à ne pas oublier de partir à la conquête de ce que veut notre nature profonde.
Cette Patagonie-là est toujours bien plus proche que nous ne l’imaginons. On peut, non seulement y passer le week-end, mais y bâtir toute sa vie : c’est l’endroit en nous d’où vient cette voix, la voix qui nous rappelle que « l’impossible », c’est juste la première petite ruelle à gauche après le « possible », et puis toujours tout droit…
Et si nous avons le courage d’y aller, au bout de quelques kilomètres, ça devient une grande avenue !
Ceci reste vrai quel que soit notre âge, notre sexe, la couleur de notre peau, le nombre de nos diplômes et les conditions matérielles que la vie nous offres au départ : Oui, nous pouvons faire de notre vie ce que nous aimerions qu’elle soit.
Le prix de ce rêve-là est souvent élevé, mais jamais inaccessible.
Dossier de presse
Entretien avec Anne Lévy-Morelle
On n’invente pas une histoire comme celle de Gabriel.
Ce sont des histoires tellement invraisemblables que, bien entendu, on ne peut pas que se cogner à elles au travers des rencontres de la vie, et les transposer dans une forme accessible au public.
Cette forme-ci passe par le choix de raconter la vérité : tous les témoignages sont authentiques, et tout ce que je raconte dans le film est absolument véridique… Tout en organisant cette vérité, et ce n’était pas un pari facile, mais je crois que ça marche bien, de façon à ce qu’elle respecte une structure dramaturgique classique : comme dans n’importe quel film, il y a un début, un milieu, une fin, de l’attente exacerbée de “savoir”, des moments pour (sou)rire, d’autres pour pleurer ou en tout cas, ravaler une grosse boule dans la gorge, rien de tout ça n’est laissé au hasard.
Certains spectateurs pensent avoir vu le compte-rendu d’un échec cuisant, d’autres y voient au contraire le récit d’une réussite patente. Je suis très contente que cet espace d’interprétation personnelle existe.
Cela veut dire que le film n’est pas figé autour d’un dogme, qu’il rend un peu de la complexité ondoyante de la vie, et donc, c’est bien, je le vois comme un compliment.
Pour moi, c’est important qu’on puisse voir Le Rêve de Gabriel et y trouver différentes choses, selon ce qu’on attend qu’un film vous apporte.
Certains y verront avant tout une aventure, avec un grand “A”, une sortie de western véridique, la conquête des grands espaces et tout ça, des mythes très puissants, très masculins, très beaux.
D’autres y distingueront –et je sais que ça marche parce que j’ai reçu des témoignages à ce sujets, des lettres et des coups de fil- aussi autre chose en filigrane derrière : le résultat d’une démarche de connaissance presque initiatique, un film sur “l’autre”, aussi avec un grand “A”, sur l’“inconnaissable”, la part inaccessible de l’autre, qui qu’il soit.
Gabriel, je ne sais toujours pas pourquoi il était parti en définitive !
J’ai bien une idée là-dessus, mais à un moment donné, j’ai du affronter le fait que ça ne serait jamais autre chose que mon idée, que je n’aurais pas accès à Gabriel, qu’il avait emporté le mystère de son existence dans la tombe et que là, je ne pouvais pas aller, parce que dans les rêves des autres, on ne peut pas aller.
Mais de me cogner là-dessus, en fait, je ne le vois pas comme un échec ni même une limite, parce que ça m’a ouvert toute une autre vision, et que j’espère avoir fléché le parcours pour les spectateurs, et les laisser aux aussi avec les ailes déployées à la fin du générique.
Beaucoup m’ont dit que ça marche effectivement et aucune récompense au monde n’est supérieure à mes yeux à celle-là : recevoir un signe que le film a fait prendre conscience à une série de spectateurs qu’ils sont libre, libres de construire leur vie comme ils l’entendent, même si, évidemment, il y a un prix à payer pour ça, des difficultés, une certaine douleur éventuellement.
Dans l’ensemble, la famille de Gabriel aime ce film. En tout cas, ils le respectent tel qu’il est, en se rendant bien compte qu’il n’est pas “objectif” (je ne vois pas l’intérêt qu’il y a réduire les gens et leur trajectoire à des “objets”), mais qu’il est honnête, faisant la différence autant que possible entre les faits et les sentiments, et puis aussi entre leurs sentiments et les impressions de la cinéaste.
L’un d’eux m’a dit : « Tu as ouvert une fenêtre, et maintenant, le vent de la Patagonie s’est mis à souffler. »
Tous sont évidemment bouleversés par le film, et c’est normal. Je trouve qu’ils ont vraiment été courageux de participer au film comme ils l’ont fait, avec tant d’ouverture et de générosité.
Je crois qu’ensemble, nous avons trouvé un bon équilibre, donné un point de vue intime, authentique, sans tomber dans de la divulgation malsaine de choses qui doivent rester privées.
À ce niveau-là, le documentaire est vraiment passionnant.
Et il a aussi l’avantage d’être moins vorace sur le plan budgétaire, même si le film a quand même demandé des moyens importants, cela reste dérisoire en regard du cout “standard” d’un long métrage.
Par contre, nous allons voir si notre ambition de faire un film qui soit aussi un long métrage à grand spectacle, et qui rencontre le public dans des salles de cinéma, comme “Batman” (allons-y carrément !) est couronnée de succès. Là, nous n’avons encore rien prouvé du tout, tout reste à faire ! Et cela dépend aussi de vous, maintenant…
Discours de Thierry de Coster, producteur du Rêve de Gabriel lors de sa première projection publique :
Ce film raconte une aventure humaine bouleversante, profondément bouleversante. Et ça fait du bien d’être bouleversés dans notre quotidien !
Cela fait du bien d’aller de l’autre coté de la terre, et de penser à l’envers.
On a tous été touchés et contaminés, on a tous eu, dans l’équipe, un peu cette fièvre patagone, et derrière cette histoire, il y a une première lecture, l’aventure, qui est très belle, bien sûr… Mais, derrière cette histoire, il y a beaucoup de questions, beaucoup d’émotions, beaucoup de choses qui nous ont fait nous-mêmes changer, changer de vie.
Et pour Anne, certainement, qui a travaillé plus de trois ans dans cette aventure, plus de trois ans de sa vie… la première fois qu’elle m’a parlé de ce projet, c’était en novembre 93.
Deux mois après, j’ai faite pari un peu fou avec elle d’en faire un grand film. Nous étions deux petits débutants, chacun dans notre domaine, et on s’est accrochés l’un et l’autre en se disant qu’on arriverait à faire… à faire parvenir le bateau de l’autre coté de la rive !
Et… je peux vous dire que ça a été long, très long, mais très vite nous avons été aidés.
Par le Centre Bruxellois de l’Audiovisuel –le CBA- d’abord, qui a permis que Anne parte assez rapidement en Patagonie chilienne, seule avec un sac de trente kilos sur le dos, et un enregistreur de qualité professionnelle. Six semaines seule sur les traces de la colonie belge en Patagonie, dont elle a ramené une cinquantaine d’heures d’interviews, beaucoup de photos, énormément d’émotion, elle nous a raconté cette histoire : l’équipe de base était déjà là : Rémon Fromont, Jean-Jacques Quinet, et les autre. Et on a senti que le film était en train de naitre, ça nous a donné une énergie formidable pour nous mettre en route
Après cela, il a fallu trouver la manière de raconter ce film. Et là, on s’est dit que c’était vraiment difficile à faire : il y avait beaucoup de monde… Il fallait faire un choix qui nous permette d’avoir une narration cohérente, structurée. On a décidé de définir un personnage principal, et Gabriel de Halleux s’est imposé d’évidence.
Vous comprendrez très bien en voyant le film.
Alors Anne a écrit. Elle a écrit pendant des mois et des mois, seule. De temps en temps, je venais voir ce qu’elle faisait au dessus de son épaule et… je l’engueulais parce que j’aimais beaucoup le projet, et… donc on se bousculait l’un l’autre pour que ça avance.
Et puis elle a sorti un dossier magnifique qui a permis de trouver un financement tout à fait honorable à ce film.
À un mois de notre départ au Chili, certains anciens de la colonie étaient très inquiets de ce que nous allions faire, ils se sont dit : « mais qu’est-ce qu’on va faire de notre histoire ? » Il y avait une inquiétude… qu’on se moque d’eux, qu’on dénigre les uns ou les autres.
Et là, la famille Halleux a été tout à fait déterminante et plus spécialement Marie-Antoinette, l’épouse de Gabriel, qui s’est affirmée clairement en notre faveur. Elle nous a offert sa confiance, totale. Elle l’a même affirmée physiquement, à l’aéroport de Santiago, cette jeune femme de… environ 87 ans, est venue nous accueillir, avec sa canne et entourée de ses filles.
Et cette femme génère une énergie incroyable ! Et peut-être que, même si le film s’appelle Le Rêve de Gabriel, le véritable personnage principal est Marie-Antoinette. Parce que sans les femmes, cette aventure n’aurait pas été possible. Elles ont assuré la baraque, et ça n’a pas été facile, d’assurer les rêves des homme !
Ce film est un film de femme, personnellement, ça me touche beaucoup.
Avec toute la famille Halleux derrière, nous, le tournage a été fantastique, et je crois que l’équipe, Jean-Jacques, Rémon, Bernard, Victoria, n’oublieront jamais les semaines passées sur les chemins de Patagonie, c’était fort, c’était bon !
Et puis, on est rentrés, il a fallu monter ce film. On a reçu des archives de la famille, et là, je dois souligner la qualité exceptionnelle des films de Paul de Smet d’Olbecke, des films en 16 mm, mais nous en avions reçu d’autres aussi, en 9,5 et en 8mm, des supports de différentes… vraiment tolus les supports !
Il a fallu gérer un travail d’archives assez énorme : il y avait sept heures en out. Il y avait énormément de photos aussi, et puis du courrier : depuis 1931 jusqu’à 1985, que nous avons dépouillé, détail !
Et là-dedans, Anne assurait son rôle de capitaine de manière formidable, de nouveau.
Alors, même si elles ne sont pas venues avec nous là-bas, Emmanuelle Dupuis et Gervaise Demeure ont été prises par la fièvre patagone, elles ont monté ce film avec beaucoup d’enthousiasme.
Ivan Georgiev, aussi, le jeune compositeur, qui a à peine trente ans et qui nous a fait 28 morceaux de musique splendide.
Et puis… et puis et puis et puis, bien sur tout ça n’a pas couté zéro franc zéro centime : je remercie tous les partenaires qui nous ont fait confiance, sans aller voir les films qu’on avait faits avant, qui ont mis sur nous nous, sur l’énergie, l’envie, le désir de raconter une belle histoire. Vous les découvrirez au générique, mais je voudrais remercier tout particulièrement la société Kladaradatsch !, et Sam Cerulus parce que c’esst une maison de production flamande, privée, qui a pris beaucoup de risques dans ce film et que, dans le contexte de crise communautaire que nous vivons, je trouve leur apport tout à fait exceptionnel.
Cinergie.be – Jean-Michel Vlaeminckx
Le film mélange habilement les interviews des protagonistes qui ont survécu à l’aventure (en Belgique et en Patagonie) et les home movies en noir et blanc et en couleur tournés sur le vif, dans un perpétuel va-et-vient fictionnel. Anne Lévy-Morelle a dédié son film » à ceux qui réinventent leur vie « . Les de Halleux ont eu cette audace, ce courage et leur aventure vient de susciter une aventure cinématographique fascinante et cruelle comme un conte, le compte d’une histoire vécue.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles