VENDREDI 12 AVRIL 2019 à 20 h : Woman at War, de Benedikt Erlingsson
Woman at War
de Benedikt Erlingsson
Islande/France/Ukraine – 2018 – 1h 41′
Avec Halldora Geirhardsdottir, Davíd Thór Jónsson, Jóhann Sigurðarson
Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande … Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie …
Dossier de presse
Note du réalisateur
Ce film vise à être un conte héroïque se déroulant dans notre monde où la menace est imminente. Un conte héroïque à la manière d’un récit d’aventure. Un conte de fée sérieux mais raconté avec le sourire. Notre héroïne est une Artémis moderne, protectrice des contrées vierges et du monde sauvage. Seule, confrontée à une planète qui change rapidement, elle endosse le rôle de sauveur de la terre mère et des générations futures. Notre point de vue est très proche de celui de notre héroïne, voilà pourquoi nous accédons à sa vie intérieure.
Dans Les frères Coeur-de-lion de Astrid Lindgren il y a ce dialogue entre deux frères : “Jonathan dit alors qu’il y avait certaines choses que l’on devait faire même si elles étaient difficiles et dangereuses.
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Pourquoi ? lui ai-je demandé surpris.
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Sinon, tu n’es pas vraiment quelqu’un, juste une petite merde.”
C’est un film sur une femme qui s’efforce d’être quelqu’un.
Entretien avec le réalisateur
Vos deux longs métrages Des chevaux et des hommes et Woman At War, montrent l’humanité échouant à dompter ou dominer la nature. Qu’est-ce qui fait de ce conflit une si bonne source d’histoire et de comédie pour vous ?
J’ai récemment commencé à penser au lien entre mes deux films. C’est quelque chose dont je n’étais pas conscient avant d’avoir terminé ce nouveau film. Il est clair pour moi que les droits de la nature doivent être considérés au même niveau que les droits de l’homme, et qu’ils doivent être défendus par des lois nationales, inscrites dans toutes les constitutions, et par des lois internationales. C’est une idée qui imprègne les deux films. Nous devons comprendre collectivement que la nature possède un droit intrinsèque et une nécessité d’exister, en dehors de nos besoins humains et économiques. Ces questions concernent le bien commun et notre existence à long terme. Ajoutez à ça le paradoxe d’avoir dans certains pays un État facilement manipulable par des intérêts particuliers qui vont manifestement à l’encontre de l’intérêt général. Lorsque nous considérons le défi environnemental auquel nous sommes confrontés et ce qui se passe, c’est parfaitement limpide. Parfois, c’est un terreau fertile pour la comédie, comme dans mon petit pays ou dans le film, mais dans de nombreux pays, c’est une tragédie pure et simple. Je veux mentionner deux de mes héroïnes. Des femmes qui étaient vraiment en guerre. Berta Cáceres du Honduras et Yolanda Maturana de Colombie. Ces deux défenseurs de l’environnement luttaient pour la vie même et en raison de leurs actions, elles ont été assassinées par des forces obscures qui avaient des intérêts pour les terres qu‘elles défendaient. Le pire dans tout ceci est que l’État ne semblait pas se soucier de les protéger. Les défenseurs de l’environnement deviennent les ennemis de l’État.
Pourquoi le personnage de Halla devait-il être une femme ?
Je n’y ai pas réfléchi en termes de sexe ou de ce qui serait politiquement correct ou pas. Le personnage d’Halla m’est venu naturellement à travers l’histoire et la part dramatique qu’elle exige.
Comment avez-vous choisi l’actrice principale Halldóra Geirhasdóttir ?
Trouver Halla a été un cheminement compliqué et long, et comme souvent, la réponse était sous mon nez. Halldóra est une amie d’enfance et une collègue. Professionnellement, nous avons grandi ensemble, elle était en quelque sorte ma grande soeur. Nous avons commencé à travailler sur la grande scène du Théâtre National à 10 et 11 ans. Très tôt en travaillant sur Woman At War, j’ai eu une vision d’Halldóra jouant Halla. Mais je l’ai ensuite abandonnée et j’ai commencé à penser à d’autres acteurs qui me sont chers. Puis le destin m’a amené Halldóra et j’ai compris qu’elle n’était pas seulement un choix évident mais le bon choix. Comme actrice elle a une puissance naturelle, et dans le théâtre islandais, c’est « l’actrice » de notre génération. L’éventail de ses talents est immense. En plus de jouer à l’écran, c’est la clown la plus célèbre de Reykjavík et chaque année, dans un registre dramatique, elle tient des rôles principaux dans le principal théâtre de répertoire d’Islande. Elle a avec brio joué des rôles masculins, Vladimir dans En attendant Godot et le chevalier lui-même dans Don Quichotte – un rôle qui pourrait être en lien avec celui du film. Et ce n’est pas tout. Elle est aussi connue pour s’être inventée une sorte d‘alter ego, un macho abruti appelé Smári qui joue dans le duo Hannes et Smári. Elle et ces personnages masculins sont devenus cultes dans le monde de la scène théâtrale islandaise.
Elle a le même nom que l’héroïne du film est-ce une coïncidence ?
Halla est un nom répandu en Islande, chargé de références historiques et culturelles. Halla et Eyvindur sont les derniers bandits de l‘histoire islandaise, ils sont célèbres pour avoir survécu plus de 20 ans en se cachant dans les Hautes Terres au XVIIe siècle. Ce sont de vrais montagnards, voleurs de moutons et rebelles ; de nombreuses histoires ont raconté leurs exploits et leur lutte. Il y a un peu plus de cent ans, le poète et dramaturge islandais Jóhann Sigurjónsson a écrit une pièce sur eux, Eyvind de la montagne. Elle a été jouée avec succès dans divers pays. En 1918, Victor Sjöström, un cinéaste suédois a réalisé un fi lm en s’inspirant de la légende, Les Proscrits. Le nom Halla a donc une connotation agréable, tout au moins pour le public islandais.
Le film pourrait être décrit comme un drame, un thriller écologiste, une comédie ou les trois à la fois. Comment pensez-vous le genre d’un film ?
Je ne pense pas du tout au genre du film lorsque je le prépare ou travaille au scénario. Vient ce qui vient, le genre est quelque chose sur lequel on peut spéculer, une fois que l’enfant est né, si on peut dire. Vous ne réfléchissez pas à quel genre de personne sera votre enfant quand vous êtes en train de le faire. En tout cas, moi pas. Je ne considère pas ce film comme une comédie ; je ne fais pas de comédie et je ne cherche pas à en faire. S’il y a quelque chose de drôle dans le genre d’histoire que je raconte, ça vient en supplément ! En termes de procédé, je vais toujours directement vers ce qui fait mal. Je cherche la douleur de l’auteur ou du personnage et ce qu’elle signifie. Partir de là a pour moi à voir avec la compréhension de l’histoire et me permet d’explorer différentes directions. Quand avec mon directeur de la photographie, Bergsteinn Björgulfsson, nous avons commencé à esquisser les grandes lignes, l’histoire nous a également conduits à jouer avec le concept de film d’action.
Quelle a été votre démarche pour collaborer avec les musiciens et les chanteurs ?
Nous avons commencé à travailler sur la musique très tôt, nous devions trouver précisément ce que représenterait le groupe de musiciens dans le film. Tandis que nous suivions cette voie, cette autre musique revenait sans cesse, insistante. C’est devenu les trois voix de femmes ukrainiennes qui constituent le choeur d’Halla. Avec la musique, je voulais comme nous le disons en Islande, « garder la ceinture et les bretelles » pour être certain d’être flexible et ne pas me retrouver bloqué au moment du montage. À cette fin, nous avons fait des enregistrements de tous les morceaux puis nous avons fait des essais de prise de vue pour toutes les séquences avec les musiciens et les chanteurs. Notre but était de faire le plus possible d’enregistrements en direct lors des prises de vue, complétés par des enregistrements en studio. Ómar et Magnús, deux des musiciens, sont de vieux amis de Davíð Þór Jónsson (le compositeur) et ont un groupe de musique (ADHD) avec Óskar, le frère d‘Ómar.
Comment votre parcours d’acteur et d’homme de scène influe-t-il sur votre manière de réaliser des films ?
Je m’adapte à ce nouveau rôle de cinéaste. Oui, d’une certaine manière, mon parcours a été utile, mais je le vois aussi comme un handicap. Je me considère comme un raconteur d’histoire qui souhaite être un poète. Je suis coincé entre ces deux approches, qui reviennent à vouloir monter deux chevaux à la fois. Ce qui d’ailleurs, est possible, il faut simplement avoir un don et un entraînement adapté, comme les meilleurs artistes de cirque.
Le film, les musiciens, le chœur
Notre film est le conte d’un héros. Notre héros est un musicien. Le héros sauve le monde. Le film a de la musique. Les musiciens qui jouent la musique sont visibles Ils représentent les forces intérieures qui se livrent à un combat dans l’âme du héros. Pourquoi. Dans l’Antiquité, les Grecs pensaient que les individus créatifs étaient possédés par un démon (daïmôn) ou plutôt qu’ils étaient accompagnés par un démon qui leur donnait de bonnes idées. C’est pourquoi, selon Platon, le génie de Socrate était dû à son bon démon. Un daïmôn pouvait donc être une sorte de muse qui chuchotait des conseils avisés à l’oreille du héros. À Rome, cette idée a été transférée dans le génie, une espèce d’ange gardien qui suivait chaque individu du berceau au tombeau. Certains Romains étaient moins chanceux que d’autres avec leur génie et le rendaient responsable de leurs mésaventures et des coups du sort.
Les musiciens et le choeur ukrainien sont en quelque sorte des démons qui tentent d’instiller courage, pouvoir et bonnes idées à notre héroïne. A l’image du choeur grec, ils s’adressent à l’héroïne comme au public et soulignent par un morceau les décisions importantes. Il y a une autre raison pour laquelle je souhaitais que l’on voit la musique être jouée, et ceci a à voir avec la distanciation. Ce concept a été attribué à Bertolt Brecht mais il remonte loin dans l’histoire du théâtre et du spectacle. On pourrait dire qu’à chaque fois qu’un musicien joue à l’écran, c’est le réalisateur qui met des guillemets à la séquence, nous rappelle que nous sommes dans une fiction et que derrière ce simulacre il y a un message ou une conclusion que devra saisir le spectateur en s’appuyant sur ce qu’il voit. A travers ce dispositif, je veux arriver à un accord avec le spectateur à propos du type de film dont il s’agit et des lois qu’il respecte. C’est un conte de héros, dans un monde saturé de conte de héros qui sauvent le monde. J’appartiens à ces spectateurs qui pourraient peut-être avoir besoin d’un coup de pouce original pour accepter de s’en remettre à ce genre de conte.
Le Monde – Véronique Cauhapé
Au commencement était la terre. Un paysage gorgé d’eau, où se découpe la silhouette d’une amazone pointant la flèche de son arc vers les câbles d’une ligne à haute tension. Halla, le personnage, est une guerrière, une militante écologique qui agit seule. Obstinée, déterminée à mettre en difficulté l’industrie locale de l’aluminium. L’un des moyens pour y parvenir est de couper l’alimentation en électricité.
Au deuxième jour, Halla, quinquagénaire tranquille, est de retour dans la vie ordinaire où elle enseigne le chant, pratique le yoga et, fait nouveau, s’apprête à devenir maman. Sa demande d’adoption ayant enfin abouti, il va lui falloir aller chercher la petite fille qui l’attend en Ukraine et abandonner définitivement ses entreprises de sabotage. Mais pas avant d’avoir mené une ultime attaque, la plus dangereuse, contre les pollueurs.
Dans ce cadre qui ne perdra pas de vue son propos, ni l’engagement qu’il défend, et en respectant une forme narrative classique, Woman at War se hasarde ensuite à des dérèglements où l’inattendu surgit par des voies (et des voix) diverses. Le film multiplie les pistes narratives et les genres, construit un récit foisonnant, conduit à un voyage dont il se plaît à nous distraire pour mieux en cacher la destination.
La nature comme protagoniste
Auteur, acteur, metteur en scène, homme de théâtre et d’Islande, Benedikt Erlingsson est, à tous ces titres, un merveilleux conteur d’histoires. Issu d’une culture qui s’est distinguée aux XIIe et XIIIe siècles par la saga, fleuron de la littérature médiévale où se racontait la vie d’un personnage, de sa naissance à sa mort, le cinéaste montre dans chacun de ses films qu’il en est bel et bien l’héritier. Dans Woman at War, comme dans son précédent et premier long-métrage, Des chevaux et des hommes (2013), qui suivait les tribulations, à la fois héroïques et ridicules d’une petite communauté d’éleveurs et de leurs animaux, Benedikt Erlingsson met en scène l’ordinaire d’hommes et de femmes que les actes de bravoure élèvent au rang momentané et parfois fugace de héros.
Sans trop s’embarrasser de psychologie – considérant que les faits et gestes de ses personnages suffisent à en éclairer les motivations –, le cinéaste trace sa route à sa manière, joyeuse et sérieusement attentive à tout ce qu’il peut relever de cocasse et de grand, d’absurde et de poétique dans la nature humaine. C’est, chez lui, cette matière glanée dans l’action qui suscite les sentiments ou les émotions, encourage l’identification. Et finalement fait réfléchir.
Benedikt Erlingsson se joue des ressorts du film d’action, d’aventures, de suspense, les mêlant sans en adopter un seul en particulier
Dans Woman at War, l’engagement d’Halla (et du cinéaste) pour l’écologie s’exprime dans chacun de ses agissements, plus que par les discours qu’elle pourrait tenir. Il en est de même pour tous les personnages qu’elle rencontre. Il en va ainsi pour la nature aussi, protagoniste à part entière du film. Hostile quand elle abat ses averses glacées sur Halla qui fuit à travers les Hautes Terres d’Islande. Protectrice quand elle met sur le chemin de la militante la peau d’un mouton mort qui, posée sur son dos, trompera les drones de surveillance. Guérisseuse quand elle la réchauffe dans ses sources chaudes.
La dialectique propre aux sagas islandaises – le destin, l’honneur et la vengeance – se retrouve dans Woman at War, transformée et enluminée par la baguette magique d’une fée. En d’autres termes par la mise en scène de Benedikt Erlingsson, qui se joue des ressorts du film d’action, d’aventures, de suspense, les mêlant sans en adopter un seul en particulier. Et qui s’amuse à placer dans son décor un groupe de musiciens et un chœur ukrainien, susceptibles, quand ils apparaissent au beau milieu d’une scène, d’insuffler courage et inspiration à l’héroïne.
Distanciation
Cet outil de distanciation qui remonte à l’Antiquité, le cinéaste en use pour rappeler qu’il s’agit bien là d’un conte dans lequel il s’autorise à interpeller le spectateur. Ses clins d’œil sont facétieux, ironiques, en conviant à la table du cinéma l’art théâtral et la littérature. Ils convoquent l’histoire comme dans ce prénom que porte Halla, celui d’un bandit célèbre en Islande, qui survécut plus de vingt ans en se cachant dans les Hautes Terres au XVIIe siècle.
Et puis, il y a dans Woman at War Halldora Geirharosdottir, apparition sublime de la femme commune, qui pourrait être la voisine de tout le monde et qui, quand elle part en mission, prend des allures de soldat frondeur. Elle est l’interprète d’Halla en même temps que de sa sœur jumelle, Asa, dont le profil tient tout entier dans le projet qui l’anime : une retraite imminente dans un ashram en Inde. Et qui, sans en dire trop, devient figure sacrificielle lors d’un spectaculaire retournement. Halla et Asa, ou les faces de Janus. Véronique Cauhapé
Halldora Geirharosdottir, garantie sans collagène ni phosphate
Par Clarisse Fabre – Le Monde
Très populaire sur la scène théâtrale islandaise, l’actrice tient son premier grand rôle au cinéma, à presque 50 ans, dans « Woman at War ».
C’est elle la révélation du Festival de Cannes dans sa version 2018 : politique, féministe, post #metoo. L’Islandaise Halldora Geirharosdottir tient de bout en bout le film de Benedikt Erlingsson, Woman at War, sélectionné et récompensé à la Semaine de la critique (prix SACD). Halla est son premier grand rôle au cinéma ce qui, pour une femme bientôt quinquagénaire et déjà grand-mère, relève de l’exploit – la « date de péremption » des actrices se situant souvent autour de la quarantaine. Mais point d’artifices chez Halldora : elle débarque sur la planète cinéma, garantie sans collagène ni phosphate. Ecolo dans l’âme – ce que reflète son regard vert émeraude, elle est aussi une comédienne réputée et durable en Islande. « Je suis très populaire au théâtre. Les metteurs en scène m’apprécient pour mon côté collectif. Normal, enfant j’ai fait tous les “sports co” de la terre, hand, foot, volley », sourit-elle avec de faux airs de Reine des neiges, ses cheveux blancs tirés dans un chignon.
La comédienne n’a eu que deux mois pour se plonger dans ce rôle de super-héroïne… « J’ai été choisie dans la dernière ligne droite du casting. Le réalisateur, qui est un ami d’enfance, n’avait pas pensé à moi. Je suis comme sa sœur, or on ne pense pas à sa sœur pour un premier rôle… », dit-elle. Benedikt Erlingsson passe une tête durant l’entretien pour confesser : « Je cherchais plutôt une femme avec de longs cheveux blancs. Mais à l’époque, Halldora avait des cheveux courts et châtains… » Ironie de l’histoire, entre-temps les cheveux de l’actrice ont poussé et blanchi. Prête pour Woman at War 2 ? En tout cas, le film cartonne en Terre de glace : « Environ 4 % de la population ont vu le film en Islande, vous imaginez ce que cela ferait en France ? », glisse Erlingsson, avant de s’éclipser…
Un conte activiste
« Ce rôle était pour moi. Je l’ai dit et répété à Benedikt. » Dans ce conte activiste, Halla est Robin des bois au féminin. Mais aussi Fantomas, ricanant à la barbe des autorités, qui jamais ne parviennent à l’arrêter. Ajoutons un zeste de Peau d’âne, pour la douceur déterminée du personnage qui, le temps d’une fugue, revêt une peau de mouton… « Même si je suis de nature très sportive, il a fallu que je m’entraîne comme une dingue pour être capable de courir sans être essoufflée devant la caméra. Sachant qu’on pouvait refaire huit fois la prise… »
Le scénario résonne avec l’actualité politique : c’est « l’autre dame des Landes », a justement titré Culturebox, le site d’information culturelle. De même, le parcours de Halldora Geirharosdottir est d’une cohérence presque confondante avec ce récit dans l’air du temps. Née en 1968, elle a grandi à Reykjavik, entre un père architecte et une mère qui s’est lancée dans le théâtre à l’âge de 36 ans. Halldora avait alors 6 ans. « Je revois ma mère qui apprenait ses textes en faisant le repas. Puis à 40 ans, elle est devenue comédienne professionnelle. » Au milieu des années 1970, l’Islande était à l’avant-garde : « A cette époque, la plupart des metteurs en scène de théâtre étaient des femmes. La mère de Benedikt Erlingsson elle-même était metteuse en scène. J’ai donc grandi avec l’idée que c’était possible. » Elle se souvient des réunions organisées chez elle, « entre femmes de théâtre qui fumaient la pipe, sans soutiens-gorge bien sûr ! Je me mettais sous la table et j’écoutais… ». Ni Tupperware ni underwear !
A l’âge de 16 ans, en 1984, tout naturellement elle se fond dans un groupe de rock alternatif, qui suit en tournée les Sugar Cubes, bientôt marqué par la voix d’enfant de la star naissante Björk. « Je jouais du saxophone, du violon et j’étais aux claviers. Je croyais être l’égale des garçons, mais en fait c’était ambigu : les mecs ne manquaient jamais une occasion de me conseiller sur mon jeu ou ma carrière. » Justement, elle doit faire des choix : enceinte à 21 ans, elle se décide pour le théâtre. Elle fait aussi l’actrice dans des séries télé, au rayon comique. Puis c’est le coup de tonnerre : à la trentaine, elle découvre les inégalités. « Je me suis aperçue que j’étais moins bien payée que les hommes. Et qu’il y avait beaucoup moins de femmes metteuses en scène autour de nous. Mais qu’a-t-on fait dans ma génération ? On ne s’est pas battu, parce qu’on a cru, à tort, qu’il n’y avait pas besoin… » Voilà pourquoi, après l’affaire Weinstein, du nom du producteur américain accusé de harcèlement et de viol par de nombreuses actrices, elle a postulé pour enseigner dans une école d’acteurs à Reykjavik. « C’est à mon tour de transmettre ce combat pour l’égalité. »
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles