JEUDI 26 AVRIL 2012 à 20H ☞ « La pluie et le beau temps », de Ariane Doublet
« La pluie et le beau temps »,
de Ariane Doublet
France – 2011 – 1h14
Les cultivateurs de lin normands seront-ils sauvés par les Chinois ? La pluie ou le beau temps ont depuis toujours décidé des récoltes. Sauf que le monde change et qu’une nouvelle météorologie s’impose, faite de spéculation, de gestion de stocks et d’échanges internationaux. La Normandie produit à elle seule près de la moitié du lin mondial. Pour conserver cette culture millénaire, les agriculteurs du Pays de Caux se sont tournés vers un nouveau et presque unique client : la Chine. 10 ans après Les Terriens, Ariane Doublet filme des paysans qui tentent de s’adapter et troquent leur pluviomètre pour une connexion internet. Elle suit des négociations âpres et burlesques entre filateurs chinois et cultivateurs normands, raconte le destin d’une petite coopérative entre Fécamp et Dieppe et s’intéresse au quotidien d’un groupe d’ouvrières chinoises. La pluie et le beau temps dresse ainsi le portrait paradoxal d’une mondialisation à l’envers.
Intentions
Voici un film où deux regards se croisent, celui d’Ariane Doublet, réalisatrice du film, et celle de son correspondant chinois, le cinéaste Wen Hai. Le dispositif de narration fait ainsi écho au propos lui-même, comme si le monde multipolaire ne pouvait désormais plus être raconté par les seuls occidentaux. Avec ce gros camion aux inscriptions chinoises qui traverse la campagne normande, voici la mondialisation à nos portes. Résultat inattendu : loin d’entraîner la fermeture des usines voici qu’au contraire l’arrivée des Chinois redonne du souffle à la coopérative agricole de lin. On se gardera d’en tirer des conclusions à usage général, mais le film tire parti de ce paradoxe apparent et des situations imprévues qu’il suscite. L’ambition n’est pas ici de faire le bilan de la mondialisation. Plutôt d’être attentif à une ouverture nouvelle sur le monde, aux fantasmes qu’elle fait naître, à ses effets réels, néfastes, absurdes,… et parfois positifs. On retrouvera ici l’attention portée par la cinéaste au travail des hommes, à ce qu’il charrie de valeurs et de culture, et à la façon dont il s’ancre sur un territoire jusqu’à parfois en façonner les contours. Les allers-retours entre les plaines normandes et les filatures chinoises viennent mettre en perspective les situations, et créer de la relation là où beaucoup ne voient que des antagonismes. Ariane Doublet raconte ici une histoire de notre nouveau monde. Et voilà que ce monde nous apparaît soudain beaucoup plus petit que l’ancien…
Entretien
Comment est né le film ?
Je tourne souvent au Pays de Caux. Un jour, j’ai vu passer un container « China Shipping » sur une toute petite route de campagne. Ça m’a interpellée. J’ai parlé avec des agriculteurs qui m’ont dit : “mais c’est certainement du lin, on l’exporte vers la Chine”. En creusant un peu, j’ai découvert que c’était la plus grosse production mondiale et que depuis déjà quelques années, les Chinois avaient commencé à venir acheter. Ça m’a tout de suite intéressée. Je pars souvent de ce petit coin de terre pour élargir sur des questions plus générales. Finalement, le film a ce même mouvement.
Que représente t-il dans votre parcours de réalisatrice ?
C’est un film sans doute plus ample que les précédents. J’ai eu assez vite le désir qu’il y ait ce contrechamp chinois. Mais je me suis dit que, ne parlant pas chinois, j’allais me retrouver à filmer ce qu’on voudrait bien me montrer. Ma façon de travailler, c’est toujours d’aller à la rencontre des gens, ceux dont on ne parle pas forcément, ceux à qui on ne donne pas la parole. J’ai donc pensé que ça serait mieux que je cherche un cinéaste intéressé par un travail en binôme. J’ai d’abord vu les films de Wen Hai. Il a cette relation aux gens qui pouvait être un peu semblable à ma façon de travailler. Nous nous sommes rencontrés, chacun a fait ses repérages. Le financement a été difficile à trouver ; c’est un projet qui a mis quatre ans à se faire. En cela, je pense que le film est très différent de mes autres films. Il a peut-être moins d’empathie avec les gens qui sont filmés, c’est-à-dire que je suis moins dans le quotidien des agriculteurs et davantage sur des questions qui sont celles de l’agriculture aujourd’hui : la mondialisation, la spéculation et les matières premières.
Vous êtes donc deux cinéastes sur ce projet. De quelle façon avez-vous travaillé ?
Wen Hai avait carte blanche pour son tournage en Chine et lui me laissait carte blanche pour le montage. Nous sommes souvent proches des gens que nous filmons et nous ne cherchons pas à faire oublier la caméra : il s’agit de les filmer dans leur espace en ayant une complicité avec eux. J’aime que les gens participent vraiment en ayant conscience d’’être filmés, de ce que ça implique. Je leur demande une vraie participation au film qui est en train de se faire. D’où vient votre lien si fort avec la Normandie ? Je ne suis pas du tout d’un milieu agricole, mais j’ai passé toute une partie de mon enfance en Normandie. Je passais énormément de temps dans la ferme d’à côté. Et puis, il y a le littoral, la mer, les falaises. C’est un pays fort.
Comment avez-vous rencontré vos personnages ? Les connaissiez-vous auparavant ?
Je connais l’un des agriculteurs depuis longtemps. Patrick et sa mère sont mes voisins. Lui a une toute petite exploitation, qui progressivement ne sera plus viable. Ça m’intéressait aussi d’avoir une femme agricultrice, d’autant qu’elle est vraiment spécialisée dans le lin. Après, c’est une question d’entente quand on rencontre les gens : sentir le désir qu’ils peuvent avoir de raconter quelque chose ou non. Je les ai vus pendant une longue période. Nous sommes devenus amis et nous allons être amenés à nous revoir.
Comment avez-vous envisagé de traiter la différence de situation entre la France et la Chine ?
Les agriculteurs travaillent seuls, alors qu’il y a une masse d’ouvriers dans l’usine chinoise. Il y a aussi ce contraste entre l’extérieur, le vent de la plaine, quelque chose de l’espace large et silencieux face au vacarme de l’usine. Mais dans le même temps, Wen Hai s’est lui aussi recentré sur quelques personnes, notamment sur cette ouvrière. Du coup, cela fait un lien. Ça a été émouvant pour moi de voir ce cheminement dans les rushes. De voir cette ouvrière de plus en plus présente.
Quels sont vos partis pris esthétiques et narratifs ?
Mes choix ne se font jamais a priori. Par exemple, j’avais imaginé que la correspondance avec Wen Hai serait mise en scène, avec des voix-off, ma voix et la sienne se répondant. Finalement, ce sont des choses qui ont complètement sauté au montage. Dans mon désir de travailler avec un cinéaste chinois, il y avait aussi un enjeu à communiquer avec une personne qui est à l’autre bout du monde et qui ne parle pas la même langue.
Avez-vous voulu passer un message sur les dérives de la mondialisation ? S’agit-il d’un film militant ?
C’est un film engagé, pas militant. C’est un film qui soulève des questions politiques. Au cours du tournage, j’ai mesuré les conséquences que pouvaient avoir la spéculation financière sur l’exploitation des matières premières et j’ai commencé à tourner à un moment où la situation s’est exacerbée. Je voulais parler de la circulation des marchandises. Tout se croise. On marche sur la tête. Le lin est envoyé en Chine pour revenir plus tard au Havre. Est-ce qu’à un moment, on va en mesurer les conséquences ? Sans doute, mais est-ce qu’il y aura une façon de faire les choses différemment ? Il faut le souhaiter. Je suis assez intuitive, je vais vers les choses qui m’intéressent sans a priori. En ça, ce n’est pas du militantisme. J’essaie d’être au temps présent de ce qui se passe. C’est pour ça que mes films ne peuvent pas apporter de réponse, parce qu’ils questionnent le présent.
Propos recueillis par Manon Guichard (Journal du festival « Cinéma du réel », n°5, Lundi 28 mars 2011)
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles