MARDI 4 OCTOBRE 2011 à 19H30 ☞ « Broadway », de Aminatou Echard + « Demain le monde changera », de Anna Steinbach
19H30
« Broadway »,
de Aminatou Echard
2011 – 50′
L’absurde apparaît le jour où on se réveille / on se réveille, on n’a pas de nez
Où est-il, mon nez ?
Et là / le nez arrive et dit / « Chacun son tour, s’il vous plaît »
Je renvoie à Gogol / Kafka aimait beaucoup Gogol / Pourquoi ?
Parce que Gogol montre l’absurde / Gogol ne tire pas l’absurde de ses idées schizophréniques
Il le tire de la réalité
C’est ce genre de réalité / quand ton nez tombe tout à coup et que tu dis / se taire, halte…
Et en effet, dans de tels pays, tu peux te réveiller et ton nez sera devenu ton chef
Ou bien tu te réveilles et tu es devenu un insecte
C’est terrible de se réveiller dans nos pays.
« Après quelques semaines, il me dit oui. Il choisit son interprète. Il me dit qu’il ne parlera pas s’il ne veut pas, qu’il veut que j’éteigne l’enregistreur si il le demande, qu’il ne répondra pas à certaines questions, qu’il ne me dira pas grand chose : est-ce que je veux toujours l’enregistrer ? Il croit que je cherche à le piéger pour lui faire parler de ce qu’il ne veut pas. Il éteint plusieurs fois l’enregistreur. Il parle rarement à la première personne. Je le sens pourtant entre l’envie de réfléchir ensemble et cette retenue. A la fin, il me dit, vainqueur : « De toutes façons, je ne t’ai rien dit, tu n’as pas réussi. » Je lui réponds : » Alors je peux garder ta voix, ça ne posera pas de problème ? » Et je ne peux pas utiliser sa voix, c’est trop risqué, c’est lui, c’est bien lui, on va le reconnaître, même s’il ne m’a rien dit. » Mais on ne saura pas si tu es un homme ou une femme, d’où tu viens, où tu vis. » » Oui, mais c’est moi. » Je finis par lui dire : » Ce n’est plus toi. » J’ai si peu gardé ce qui le fait lui, qu’il est devenu quelqu’un d’autre.
Et puis on m’explique avec d’autres mots. Tu vois, nous avons ce mécanisme protecteur acquis qui nous empêche de nous exprimer librement, même entre amis. Même s’il nous semble qu’il n’y a rien de ’grave’, les autres peuvent attribuer à nos paroles le sens complètement contraire. C’est ça qui fait peur, et en plus, les gens que nous croyons être nos amis sont ceux qui nous dénoncent. La peur, on ne sait plus si elle est justifiée, mais elle gagne tout et elle est partout.
Si bien que lorsqu’une voiture noire aux vitres teintées noires a ralenti à ma hauteur dans une rue vide d’Achkhabad, j’ai pensé que l’on me suivait. J’ai continué à marcher droit sans regarder, et je me suis engouffrée dans un parc. Le chemin s’est transformé en sentier et le parc en forêt de sapins. Puis j’ai vu un premier militaire, je me suis arrêtée net. J’ai aperçu un autre militaire, puis encore un autre. Je me figeais et me cachait derrière les sapins, tournant au même rythme que les soldats, pour ne pas être vus, car si il y a des soldats, si cette forêt n’est plus le parc, si il n’y a pas de promeneurs, peut-être que je n’ai rien à faire là, et que si l’on me voit, on me contrôle, on ouvre mes sacs et on y trouve deux caméras super 8, un enregistreur numérique, un casque, une dizaine de bobines, un cahier avec des notes, et donc je me cache derrière les sapins, avançant le plus vite possible dès que je le peux pour arriver au bout, et sortir de la forêt. Une situation burlesque, car peut-être aussi que je n’avais aucune raison d’avoir peur, que la voiture était un taxi, inquiet de me voir marcher seule dans ce coin de ville. Et pourtant, je ne donnerai pas de noms de lieux, de noms de gens, je referai ce texte longuement, qui n’est pas grand chose si ce n’est un reflet de l’intégration de cette autocensure qui vous prend dès que vous rentrez dans un tel univers. On ne s’amuse pas avec cette peur. On apprend à regarder tout comme si c’était la dernière fois. » » Aminatou Echard – Derives TV
20H45
« Demain le monde changera »,
de Anna Steinbach
2010 – 59′
J’ai été élevée dans un pays qui aujourd’hui n’existe plus, la RDA, la République Démocratique Allemande. En 1989, j’ai quitté mon pays peu avant sa chute. Tout au long de mon enfance, j’ai dessiné dans un des multiples cercles ouverts à la jeunesse. Certains de mes dessins ont été retenus pour le Concours international de dessins d’enfants Le long du Pipeline de l’amitié. Le Pipeline était un réseau pétrolier entre les pays du bloc socialiste. A la recherche de ces peintres en herbe devenus adultes, je suis à la fois l’enquêtrice et la chroniqueuse de la réalité d’hier et aujourd’hui.
Maciej en Pologne, Sarolta, Endre, Attila en Hongrie, Ognian et Viktor en Bulgarie, Petra en Allemagne et Pavel en Tchéquie m’aident à dissiper mes troubles de mémoire.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles