JEUDI 25 NOVEMBRE 2010 à 19H ☞ « LA CHINE EST ENCORE LOIN », de Malek Bensmaïl
« LA CHINE EST ENCORE LOIN »,
de Malek Bensmaïl
Documentaire – France/Algérie – 2008 – 124′
Le 1er novembre 1954, un couple d’instituteurs français et un caïd algérien sont victimes d’une attaque meurtrière près de Ghassira, un petit village chaoui.
Cet acte marque le début de la guerre pour l’indépendance de l’Algérie.
50 ans après, Malek Bensmaïl pose sa caméra dans cette région considérée comme le « berceau de la révolution » et interroge ses habitants sur leur rapport à l’histoire, à la langue, à la France…
Des écoliers d’aujourd’hui aux témoins d’époque, c’est l’Algérie contemporaine qui se donne à voir, entre acceptation et révolte, entre mémoire, présent et avenir.
« Il y a dans ce film magnifique tout ce qui nourrit les angoisses et les malentendus, tout ce qui alimente le brouhaha qui recouvre l’espace et le temps que partagent la France et l’Algérie : la colonisation et la guerre, le poids de la religion, le sort fait aux femmes, la bataille entre les langues… Mais n’est pas de ces films faits pour déclencher un débat. Son rythme ample laisse la place aux sensations, qui elles-mêmes, plus tard, susciteront la réflexion. C’est un film qui donne leur place aux hommes et aux enfants d’un petit village d’Algérie, Ghassira, qui les traite avec le respect et l’affection que méritent les personnages de cinéma.
Le documentariste Malek Bensmaïl est allé tourner pendant un an dans l’école primaire de Ghassira. Tout près de là, le 1er novembre 1954, un commando du Front de libération nationale a tué le caïd du village, collaborateur de l’administration coloniale, et Guy Monnerot, un jeune instituteur français qui venait de prendre son poste ; sa femme, elle aussi enseignante, a été blessée dans l’attaque. Un demi-siècle plus tard, l’école est toujours là. Un instituteur enseigne les principales matières en arabe, un autre apprend à parler, à lire et à écrire en français. La vie de cette classe, qui prépare les enfants au collège, forme l’épine dorsale du film, qui emprunte son titre énigmatique à un dit du Prophète : « Recherchez le savoir, jusqu’en Chine s’il le faut. » Et c’est vrai qu’au fil des séquences on mesure la distance qui sépare ces enfants du savoir. Dans cette région de langue chaoui (l’une des langues berbères d’Algérie), les élèves doivent maîtriser l’arabe littéraire et le français, qu’ils n’entendent parler qu’à la télévision ou à l’école. Des transitions impressionnantes font passer les écoliers (et les spectateurs, appelés à partager leur désarroi) d’une leçon de français qui recourt à une imagerie écolière vieille comme Jules Ferry à une leçon d’histoire dispensée en arabe, qui magnifie les faits d’armes des moudja-hidins et rappelle par le menu les atrocités coloniales.
Sur cet espèce de bruit de fond se détachent les individualités, les fortes têtes qui font l’école buissonnière et ne rêvent que d’arrêter l’école, les petites filles qui bientôt disparaîtront des rues pour vivre toute leur vie derrière les murs de la maison de leur mari. Malek Bensmaïl ne s’est pas contenté de prendre la salle de classe comme vivarium (si son film s’était limité à ce projet, il aurait pu s’appeler Survivre et manquer, en réponse à l’idyllique Etre et avoir de Nicolas Philibert). Lui aussi fait l’école buissonnière pour explorer Ghassira et les montagnes qui l’entourent. Dans ce paysage d’une beauté austère, le temps s’écoule au ralenti. On devine la pauvreté générale, l’abandon de la région, la somme de rêves évanouis. Ces séquences sont mises en scène avec un grand luxe de moyens cinématographiques. La multiplicité des angles, la précision des cadrages n’ont sans doute laissé que peu de place à l’improvisation. Mais ces artifices de cinéma se font sentir comme un hommage à la réalité représentée, plutôt que comme une liberté prise avec elle.
Le film voyage aussi dans le temps. Sans doute à cause du tournage, les autorités algériennes ont décidé de l’inauguration d’une stèle commémorant les événements du 1er novembre 1954 dans la région. Pendant cette cérémonie, un vieil homme remet en cause la version officielle des faits. Le réalisateur lui donne la parole ainsi qu’à d’autre moudjahidins, aujourd’hui octogénaires, avant que n’interviennent d’autres messieurs, un peu moins vieux, qui étaient élèves des Monnerot dans l’école de Ghassira. Ces voix disent une autre histoire que celle qu’enseigne l’instituteur, qui fait un contrepoint humain au tonitruant discours officiel.
Enfin, on ne peut pas parler de ce film sans parler de Rachida. Elle balaie la salle de classe après que la sonnerie a retenti. C’est peut-être la seule habitante du village à travailler hors de chez elle, les autres sont invisibles à l’écran. On la voit à plusieurs reprises avant de l’entendre, et cette parole solitaire est bouleversante. Tout comme la conclusion du film, d’une grande douceur, qui augure mal de l’avenir des petites élèves de Ghassira. »
Thomas Sotinel – Le Monde – 27/04/10
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles