JEUDI 23 JANVIER 2014 à 20 H ▶ Une jeunesse amoureuse, de François Caillat
Une jeunesse amoureuse,
de François Caillat
France – 2012 – 1h45′
Projection suivie d’un débat avec le réalisateur
Le narrateur raconte sa jeunesse amoureuse dans le Paris des années 1970: un récit d’éducation sentimentale, à cœur et corps perdus ; une histoire intime autant que l’aventure d’une génération ; un film sur la difficulté d’aimer.
En savoir plus : Site officiel du film
Interview de François Caillat
Qu’est-ce qui vous a motivé à faire ce film ?
J’ai toujours gardé le souvenir d’une période très intense de ma vie. C’était à Paris, durant la décennie 70, quand j’avais entre vingt et trente ans. J’expérimentais alors le monde avec enthousiasme, avec passion, dans un sentiment de grande liberté, on peut même dire avec exaltation. Plus tard, j’ai senti qu’un changement inexorable s’était produit. Ce qui s’était passé n’était tout simplement plus possible. Soit j’avais moi-même changé en vieillissant, soit l’époque avait changé et ne permettait plus tant de liberté. En tout cas, une sorte de parenthèse s’était refermée. J’ai eu envie de raconter cette période très particulière dans ma vie.
C’est donc une autobiographie sur vos vingt ans ? Mais qu’ont-ils de si spécial ?
Ma vie n’est pas le véritable objet de ce film. Ou plutôt, elle n’est racontée ici que parce qu’elle peut en évoquer d’autres. Je suppose que le sentiment amoureux est partagé équitablement par tous, de manière chaque fois singulière et individualisée. J’ai voulu construire un récit qui laisse à chaque spectateur la liberté de se projeter, de se remémorer son passé, de réfléchir à sa propre vie. C’est pourquoi, si on parle d’autobiographie, je préférerais qu’on évoque une autobiographie collective. C’est une incitation à se souvenir : revivre ses vingt ans, se rappeler sa vie sentimentale, réfléchir à la construction progressive et souvent chaotique de l’amour. C’est ce projet que se donnait autrefois le roman de formation, dans la littérature : raconter comment un jeune homme grandit à travers ses expériences affectives. Il y a là quelque chose qui touche à l’amour en général.
C’est donc un projet un peu psychologique ?
Non, parce que mon récit, même s’il est assez généraliste sur le sentiment amoureux, ne prétend pas parler pour toutes les époques et tous les lieux ! Je veux dire que le contexte est important, ma jeunesse amoureuse s’est déroulée à une date déterminée, dans un endroit précis. Le lieu, c’était Paris, et ma jeunesse aurait suivi un cours différent si elle s’était passée par exemple en Lorraine, où je suis né. Le film aurait peut-être évoqué des états amoureux tout aussi forts, mais il n’aurait pas été le même. Quant à l’époque, c’est cette décennie des années 70, qui était vraiment très particulière…
Vous pensez que ces années 70 étaient plus propices qu’aujourd’hui à l’amour ?
D’une certaine manière, oui, si l’on se souvient qu’elles ont été marquées par beaucoup de transformations dans les comportements, dans les mœurs, dans tout ce qui réglait les relations entre les hommes et les femmes. Aujourd’hui, on se souvient surtout des premières manifestations de libération féministes (par exemple le mouvement MLF) ou des changements institutionnels (mise en vente de la pilule, libéralisation de l’avortement) – tout ce qui concernait les femmes, dont chacune pouvait prendre davantage sa vie en main. Mais les changements s’étendaient aussi aux homosexuels, aux couples communautaires, aux amoureux de tous poils. L’ambiance était favorable à des comportements nouveaux, tout était marqué par une liberté inédite. Je garde le souvenir d’une époque d’apprentissage, d’expérimentation, chacun explorait les différentes possibilités touchant aux manières d’être, aux sentiments amoureux, aux expériences sexuelles… Il faut dire aussi que ces années 70 se situent exactement entre le nouvel usage de la pilule et l’arrivée du sida. Et durant une petite quinzaine d’années, tout a semblé possible, facile à vivre. Évidemment tout n’a pas été si facile, en fin de compte ! Mais c’est sûr qu’il y a eu beaucoup d’enthousiasme, d’énergie dépensée, d’ardeur à essayer. J’en ai moi-même fait l’expérience, comme le film le raconte.
Mais est-ce que cette facilité, ce sentiment de liberté, se résumaient à des expériences sexuelles et amoureuses ?
Non, bien sûr, il faut se souvenir du contexte général de ces années-là. Il y avait l’engagement politique, c’est-à-dire pour moi le militantisme comme lycéen puis étudiant, souvent sur fond de violences. Il y avait aussi l’expérience de la drogue, très attractive. Il y avait toutes sortes de nouvelles pratiques, de nouveaux usages, très euphorisants à tous les sens du terme. L’exaltation que j’ai pu ressentir à cette époque n’était pas seulement un état intérieur. C’était aussi le reflet du monde incroyablement excitant dans lequel je vivais. Et le domaine amoureux faisait partie de cette excitation sans cesse renouvelée.
Est-ce que cette expérience est partageable par les spectateurs d’aujourd’hui ?
Les gens de ma génération peuvent se retrouver sans difficulté dans ce que je raconte. Pour beaucoup, je sais que c’est aussi leur vie. C’est d’ailleurs ce qui explique que j’ai eu l’audace – certains diront l’orgueil – de parler de moi à la première personne et devenir le sujet visible d’un film. Si je l’ai fait, c’est parce que je me crois assez représentatif de ma génération. Je me sens légitime pour en parler au nom des autres. Ma vie amoureuse a été intense, mouvementée, chargée… mais je sais que ce fut le cas pour beaucoup. L’époque rendait assez courante cette affirmation excessive du sentiment et du sexe.
Et les autres spectateurs, ceux qui ne sont pas de votre génération ?
Je pense que l’expérience est tout à fait partageable par eux. L’amour n’appartient pas à ceux qui ont eu vingt ans en 1970. Chaque génération le reproduit, à la fois différemment et pareillement. Les formes changent, mais certains traits essentiels perdurent. Et chacun, quel que soit son âge, devrait s’y retrouver facilement. D’ailleurs, on peut noter que les termes du face-à-face amoureux évoluent peu avec le temps : coup de foudre, passion, rupture, jalousie… On n’en est pas sorti.
Vous voulez dire qu’il y a des modèles constants ?
Peut-être pas des modèles, mais des figures communes, ressemblantes. Dans mon film, je parle de plusieurs femmes, et chacune, d’une certaine manière, pourrait résumer à elle seule l’une des figures connues de l’amour : il y a le premier amour, le compagnonnage intellectuel, l’amour fusionnel, la liaison romanesque… Je caricature, mais c’est pour dire que j’ai raconté des manières d’aimer assez générales, sinon universelles. Ma vie n’est intéressante à raconter que si elle sert à susciter ce récit bien plus large : le discours amoureux, dans ses déclinaisons, dans ses difficultés, parfois dans ses errances… mais aussi dans ses réussites triomphales, même provisoires…
Pourquoi avoir entrepris ce film si tardivement, plusieurs décennies après ?
Pendant longtemps, je n’ai pas osé repenser à cette époque, ou en tout cas pas en parler. Mes souvenirs me faisaient mal, ils me brûlaient. J’avais l’impression qu’un tel débordement d’énergie ne pouvait plus se produire. J’imaginais qu’il était plus prudent pour moi de ne pas me remémorer une telle période de ma vie. Sinon, je risquais de ne pas m’en remettre !
C’est ce qui s’est passé quand vous avez fait le film ?
Oui, d’une certaine manière, j’ai replongé ! Je me suis remis à vivre – à travers la fabrication du film, et donc très fortement dans ma tête – une période intense, avec des états émotionnels très vifs, des moments d’exaltation… Soudain j’ai recommencé à écouter de la pop et du rock à plein volume, j’ai cherché des occasions de vivre à toute allure… Oui, j’ai un peu fait l’ado !
Dans votre film, pourtant, vous gardez une certaine distance. Vous ne rentrez pas trop dans les détails : vous montrez quelques mots isolés des lettres que vous filmez ; vous présentez les photographies des femmes un peu floues ; vous n’êtes jamais bavard sur ces amoureuses, leurs occupations, leur mode de vie… Finalement, elle reste assez indécise, cette jeunesse amoureuse…
J’ai voulu fabriquer un espace dans lequel le spectateur puisse se glisser. Je crois que si j’avais trop exprimé ma biographie, cette place n’aurait pas existé. Le film raconte ma vie sans aucune retenue, je parle de mon intimité, je révèle des moments très secrets de ma relation avec des jeunes femmes, je ne crois donc pas m’être caché. Mais cela ne suffit pas, je n’ai pas eu le projet de faire une confession ou un aveu. Je voulais que mon récit crée un appel d’air chez le spectateur : appel à convoquer ses propres amours, revisiter ses fantômes, réfléchir à sa vie passée. Le film est une mise à disposition du sentiment amoureux à l’usage de qui le souhaite. Je raconte une histoire, qui est incontestablement la mienne, et je dis aux spectateurs : emparez-vous de ces bribes de récit pour rêver à votre propre jeunesse amoureuse. Ne vous revoyez-vous pas, dans ces élans maladroits du premier amour ? N’avez-vous pas connu la frénésie sexuelle d’une passion ? N’avez-vous pas rêvé de vivre avec une femme (ou un homme) qui serait votre double intellectuel ? N’avez-vous jamais pris de risque qui vous aurait mené à la catastrophe ? En somme, j’essaie de fabriquer une sorte de machine à souvenir : que chacun se souvienne ! Que chacun, durant deux heures de film, retrouve sa vie amoureuse !
Vous dites que cette histoire est « incontestablement la mienne ». Vous avez donc dit toute la vérité ?
Ce qui est dit dans le film est entièrement vrai, mais je considère que c’est une nécessité qui ne concerne que moi. C’est sûr que j’ai tenu, jusqu’au bout, à ne jamais inventer, embellir ni trafiquer mon récit. Je n’ai évidemment pas tout dit (le temps du film n’y suffisait pas), mais tout ce que j’ai dit est vrai. Pour autant, le spectateur n’est pas tenu de me croire. Ou plutôt, je pense que cette question de la vérité n’est pas son affaire. Il importe plutôt qu’il soit sensible à ce que je raconte, qu’il y trouve matière à rêver et s’interroger sur lui-même. Le film n’est pas le récit authentifié d’une vie particulière, avec ses preuves, ses documents. Ce n’est pas non plus un film documentaire sur la jeunesse française des années 70 – même si on la voit en filigrane dans le récit. Non, c’est d’abord une matière romanesque offerte au spectateur. Et qui dit romanesque dit susceptible de créer de l’imaginaire, du souvenir, de l’émotion. Voilà ce que je souhaite : que chaque spectateur se fasse son cinéma…
Est-ce qu’il y a un lien avec vos films précédents ? Vous aviez jusqu’alors tourné des documentaires, et maintenant vous parlez de “romanesque”…
Non, c’est pareil, j’en parlais déjà de cette manière auparavant. J’ai réalisé plusieurs long-métrages avec Arte, qui sont passés dans des cases télévisuelles intitulées “documentaires de création” (Grand Format) ou “essais” (La Lucarne). Ce n’était pas des fictions, non, mais ce n’était pas non plus des documentaires pur jus. C’était plutôt des récits, des tentatives d’introduire de l’imaginaire dans le réel, il y avait déjà une grosse part de romanesque. Dans mon film “L’Affaire Valérie”, par exemple, j’ai imaginé des vies possibles, des disparitions racontées par des proches. Sous couvert de mener une enquête, je voulais provoquer le souvenir, “la madeleine” de chacun, l’évocation du passé enfoui au plus profond de nos mémoires.
La mémoire, le passé, c’est ce qui vous attire ? Dans “Bienvenue à Bataville” (votre précédent film sorti en salles), vous racontiez déjà une histoire passée…
Oui, mais le passé ne m’intéresse pas en tant que tel. Je suis d’abord sensible à sa remontée dans nos pensées, dans nos émotions. En fait, je m’intéresse moins au passé qu’à ceux qui s’en souviennent. Pas de manière savante, comme le ferait un spécialiste ou un historien, mais avec des affects, du trouble. Dans “Bienvenue à Bataville”, j’ai raconté une histoire qui s’est vraiment passée, mais je l’ai fait sur un mode un peu irréel, comme dans un rêve éveillé. Un rêve effrayant, plein de fausses promesses et d’aliénation, mais un rêve où le spectateur d’aujourd’hui peut plonger et se faire son idée. De manière générale, j’aime beaucoup travailler sur les lieux du passé, à condition de pouvoir les réinventer. C’est ce que j’appelle un parcours de cinéma. Il s’appuie sur la réalité, mais n’a de sens que dans l’imagination, dans une certaine rêverie.
Dans “Une Jeunesse amoureuse”, ce parcours se déroule à travers Paris. Et finalement, la ville est très présente dans le film. Autant que vos amours….
Oui, ma jeunesse s’est déroulée à Paris et j’ai donc raconté Paris. Ayant très souvent déménagé durant cette période, j’ai pu raconter une histoire qui se déployait dans presque tous les quartiers de la capitale. Du coup, le film est aussi un parcours sentimental, au sens propre : en allant d’un lieu à un autre, on va d’un amour à un autre. La ville donne prétexte à une géographie amoureuse. J’évoque d’ailleurs l’idée d’une Carte du Tendre, formée par les arrondissements de Paris. On se déplace en prenant pour guide le sentiment amoureux, c’est lui qui nous entraîne, c’est lui qui renouvelle le décor. Le quartier de Passy de la première femme n’est pas celui du Marais ou de la rue des Rosiers des dernières histoires. Il y a du transport, mais c’est un transport amoureux…
Vous montrez peu de choses des appartements où vous avez vécu. Le plus souvent, vous filmez la rue, l’immeuble, les fenêtres derrière lesquelles vous viviez… Mais on n’entre pas à l’intérieur.
Oui, j’ai voulu conserver cette distance pour que subsiste de l’incertitude, de l’indétermination. Je ne fais pas une enquête policière sur mes vingt ans, je ne cherche pas des traces concrètes, des preuves. Je raconte une histoire, c’est le roman de ma vie passée, c’est une vie possible. Et je veux laisser le spectateur disponible à ses propres souvenirs, qu’il ne se sente trop encombré par les miens. En filmant une rue, ou une façade d’immeuble, je fais un signe : « Voyez là-bas, la fenêtre avec les stores marron, c’est là où j’habitais à vingt ans… et vous, comment c’était, à cet âge-là ? » Même celui qui ne connaît pas cet immeuble, ni cette rue, ni rien de Paris, même celui-là peut ranimer ses souvenirs et revivre une jeunesse amoureuse : la sienne.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles