MARDI 7 OCTOBRE 2014 à 20h ▶ La traversée, d’Elisabeth Leuvrey
La traversée
de Elisabeth Leuvrey
France – 2006-2012 –72′
Chaque été, ils sont nombreux à transiter par la mer entre la France et l’Algérie, entre Marseille et Alger. Des voitures chargées jusqu’au capot… des paquetages de toutes sortes… des hommes chargés de sacs et d’histoires.
En mer, nous ne sommes plus en France et pas encore en Algérie, et vice-versa.
Depuis le huis clos singulier du bateau, dans le va-et-vient et la parenthèse du voyage, la traversée replace au cœur du passage ces femmes et ces hommes bringuebalés.
Extraits de presse
Télérama
Ici et là-bas. Aller et retour. Dans le ferry Marseille-Alger, les mots se confondent, les identités se superposent. Dans le vrombissement des moteurs, le bouillonnement des vagues, la Méditerranée devient une frontière invisible, en flottaison entre les mondes. De couloirs encombrés en bastingages venteux, Elisabeth Leuvrey a tourné l’un des plus beaux films sur l’immigration de ces dernières années. Dans ce documentaire, il n’y a pas de touristes. Ceux qui font la traversée — pour les vacances, la famille, le travail — appartiennent aux deux côtés de la mer. Exilés nulle part, ou partout, ils tentent de réunir ce qui, en eux, a été divisé.
A mille milles des débats médiatiques boursouflés et des clichés, la réalisatrice profite de ce périple quasi rituel, avec bambins et bagages, pour recueillir une passionnante brassée de témoignages. Ces conversations, saisies au détour d’une coursive ou dans une cafétéria bondée, créent une polyphonie du déracinement, de l’intime bataille pour se trouver une place, un accueil, des repères. Jeunes ou vieux, prolos et poètes, rêveurs ou hâbleurs, tous ces passagers, captivants, se livrent avec force et générosité. L’écoute de la cinéaste, l’intelligence de son montage transforment la traversée en véritable agora. Elle réussit un film politique au sens le plus noble, tant il s’agit de comprendre sans simplifier : le choix d’appartenance à un groupe social (l’un des protagonistes cite même Rousseau !), tout comme le rapport, à la fois essentiel et pesant, à la filiation et aux traditions. Dans la souffrance, le sentiment de rejet ou d’amour que suscitent les deux « terres », c’est, aussi, l’histoire des relations étroites et passionnelles entre la France et l’Algérie qui se raconte dans ce non-lieu, cet entre-deux ou la parole est libre, où l’on ne sait jamais vraiment où l’on va, ici ou là-bas, aller ou retour. — Cécile Mury
Le Monde
(…) Le dispositif donne, de fait, un documentaire un peu miraculeux, léger comme la brise, émouvant comme le désœuvrement, beau comme une utopie qui ne dit pas son nom. Ni ici, ni là. Ailleurs. Du côté des corps soudain affranchis de leurs territoires, des paroles qui sortent du cœur, et des cœurs mystérieusement enclins à s’épancher. Vingt traversées ont été nécessaires à la cinéaste pour monter son film, qui les condense en un aller et un retour. L’intelligence du montage restitue en une continuité qu’on croirait hors du temps des fragments de conversations, à l’intérieur desquels prennent forme et s’interpellent des scènes, des personnages et des récits autonomes.(…) Jacques Mandelbaum
Africultures
Un bateau : le huis clos du paquebot-ferry L’Ile de beauté qui relie Marseille à Alger. C’est dans cet entre-deux qu’Elizabeth Leuvrey, née en Algérie, recueille la parole de ceux qui font ce voyage, pour la plupart algériens. Une vingtaine de traversées pour en saisir les meilleurs moments mais aussi un dvd et un livre à venir pour en transmettre la richesse qui dépasse le temps de ce film. Car ce moment au milieu des eaux est favorable aux discussions, aux échanges, aux souvenirs, aux confidences…
La parole ne vaut que par son écoute, ce qui suppose un espace et une intimité. Ceux qui voyagent savent combien ces entre-deux sont propices à l’échange. Ce bateau matérialise la dualité culturelle que vivent les travailleurs de l’immigration, personnages de cette grande fiction à la fois historique, économique et humaine, en suspension entre « la France qui donne à manger et l’Algérie qui fait grandir ». Vécus, soucis, réflexions s’entremêlent par la grâce d’un montage en écho au puzzle d’impressions que transmettent des plans fixes métonymiques ponctuant le film, et notamment son début qui, avec les sons de tous styles qui accompagnent le chargement des voitures et la préparation des bagages, met en place une polyphonie sonnant comme un programme.
Ce programme est bien sûr de rendre un visage et des sensations à ces migrants que l’on enferme dans les idées reçues, en écho au travail du sociologue Abdelmalek Sayad (1933-1998) auquel le film est dédié, qui s’était opposé aux visions déshumanisantes de l’immigré et avait privilégié un regard humain en décrivant dans La Double absence l’illusion puis la souffrance de l’immigré, doublement absent puisque oublié dans son pays d’origine et contraint au mutisme dans le pays d’accueil. « On est partout chez nous », entend-on sur le bateau, mais ces confidences disent le contraire, parlent d’un exil des deux côtés, ces gens qui traversent étant eux-mêmes traversés par deux cultures, deux modes de vie. Dans ce paquebot où le seul horizon est la mer et qui vibre en permanence des machines, c’est un espace mental qui se livre à travers la seule parole.
Un enjeu se dégage, qu’exprime clairement Ben, un des protagonistes : « faire de deux mondes un troisième monde ». Ce nouveau territoire, il n’est qu’en perspective mais il est bien là, dans le désir de dépasser le tiraillement, dans la délicate négociation culturelle entre son origine et le pays où l’on vit, mais aussi dans cette certitude que le voyage vaut le coup, en dépit de la souffrance. La souffrance, les immigrés la connaissent, dans la dureté du travail certes, mais surtout dans le rejet par le pays d’accueil. C’est là que ce film émeut : ce sont des hommes déçus, en mal d’amour, qui s’expriment ; des hommes qui auraient voulu s’intégrer mais à qui on refuse la dignité d’être égal. Ces souffrances se conjuguent en un mal de vivre mais elles sont emportées par les flots : l’énergie est là, l’humour n’est pas loin, la danse fédère et ravit jusque tard dans la nuit. Un troisième monde se construit, où la place de ces voyageurs n’est plus ici ou là-bas mais dans cet entre-deux qui finalement peut être une place aussi. – Olivier Barlet
Livret pédagogique
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles