MERCREDI 30 septembre 2015 à 20 h ▶ Antonio das Mortes, de Glauber Rocha
Antonio das Mortes
de Glauber Rocha
Brésil – 1969 – 1 h 35′
Comédiens : Mauricio do Valle, Odete Lara, Othon Bastos, Jofre Soares
Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes 1969
« Après Le Dieu noir et le Diable blond qui le fit connaître dans le monde entier, Glauber Rocha, génie turbulent et charismatique, disciple d’Eisenstein et de Bunuel pour le formalisme baroque et le mysticisme athée de son œuvre, réalise avec Antonio Das Mortes un hymne politique et poétique qui laisse pantelant : l’histoire d’un mercenaire, Antonio Das Mortes, chargé par un riche propriétaire d’assassiner un agitateur qui se prend pour un grand cangaceiro à la tête d’une bande de paysans faméliques et d’illuminés de toutes sortes. Sa tâche accomplie, et après l’intervention de cruels tueurs à gages, Antonio change de camp et se range du côté des déshérités. » Olivier Père – Les Inrocks – 2006 (à l’occasion de la resortie du film)
« Chef de file du « Cinema Novo » brésilien, Glauber Rocha a inventé un art authentiquement révolutionnaire, en lutte contre l’axe tout-puissant Hollywood-Cinecittà-Mosfilm, qui puisait sa force et sa matière dans l’histoire et la culture populaire du Brésil. Génie turbulent et charismatique, disciple d’Eisenstein et de Buñuel pour le formalisme baroque et le mysticisme athée de son œuvre, il réalise avec Antonio das Mortes un hymne politique et poétique qui laisse pantelant. » (Les Inrockuptibles)
« Le cinéma de Rocha, poète de la caméra, procède à la récupération révolutionnaire de ce mysticisme qui est poésie de son peuple. A travers la représentation mythologique des apparences, Rocha cherche une stylisation où la chorégraphie, la musique, l’esthétique baroque de l’image, loin d’être leur propre fin, sont l’expression poétique d’un combat – son chant. » (Jean-Louis Bory)
En savoir plus : dossier de presse réalisé en 2006
« La transe de l’Amérique Latine »
Entretien avec Glauber Rocha réalisé par Fernando Cardenas et René Capriles
Glauber : Même si je fais un cinéma tourné vers la réalité sociale, je n’ai jamais admis la démagogie esthétique, sous quelque forme qui soit, face à un art politique ; car ce qui se passe, c’est qu’il y a des intellectuels, écrivains, artistes et cinéastes qui prennent prétexte de l’intention politique progressiste pour justifier une très mauvaise qualité de l’œuvre artistique. C’est une trahison que je n’admets pas, parce que je crois que le phénomène politique, le phénomène social n’acquièrent de l’importance artistique que lorsqu’ils sont exprimés à travers une œuvre d’art placée dans une perspective esthétique. C’est ce que dit la belle phrase de Brecht : « pour des idées nouvelles, des formes nouvelles ». Il n’y a pas d’autre issue. De telle sorte que je n’ai jamais aimé les théories d’art politique élaborées non seulement dans les termes du réalisme socialiste, mais aussi celles du réalisme critique tel que défini par Lukács et tous ceux qui ont écrit sur l’art révolutionnaire. Spécialement en Amérique latine, où il y a de grandes intentions dans les déclarations mais les résultats dénotent une aliénation complète vis-à-vis du processus cinématographique. C’est-à-dire que des auteurs qui combattent l’aliénation du point de vue sociopolitique font des films qui – pour la plupart d’entre eux – apparaissent profondément aliénés et qui sont, au fond, liés aux préjugés culturels colonialistes du cinéma américain ou européen. Quand j’ai fait Terra em transe, c’était surtout comme cinéaste, j’ai voulu que ce soit une rupture la plus radicale possible avec ce type d’influences, ce type d’aliénation cinématographique que l’on sent dans la critique et dans beaucoup de films. Bien sûr, il y a des exceptions, tous les critiques ou cinéastes n’agissent pas de cette manière, mais une bonne partie manifeste cette complaisance. Terra em transe a été la tentative d’obtenir dans le cinéma une expression complexe, indéfinie, mais propre et authentique à propos de tout ce qui pourrait être un cinéma d’Amérique latine.
– Et O Dragão da maldade contra o santo guerreiroi ?
C’est lié à mes autres films. Antônio das Mortes est un personnage de Deus e o diabloii, mais l’optique est différente. Premièrement : ce n’est pas un film romantique, il n’a pas la dose de romantisme de Deus e o diablo ; c’est un film qui apporte une maturation des personnages en ce qui concerne Terra em transe. Deuxièmement : de ce point de vue esthétique, c’est un film sans l’agitation de Terra em transe et sans l’intellectualisme qui existe dans Deus e o diablo. C’est un film moderne comparativement aux autres et avec l’intention d’obtenir une communication plus grande, plus directe, avec le public. C’est une expérience nouvelle pour moi, car c’est un film que j’ai fait après avoir compris que certaines choses dont j’avais parlé dans mes œuvres, que certains témoignages et obsessions intérieures n’intéressaient pas réellement le public et se donnaient sur un terrain littéraire, mon cinéma n’étant pas encore mûr pour l’exposition de ce type de problèmes. J’ai fait O Dragão en cherchant à simplifier pour le grand public une série de problèmes complexes et, même ceux-là, en des termes les plus simples possibles. Ce que je dis peut paraître compliqué ; c’est présenter un panorama plus ouvert, spontané, sans romanticismes et en supprimant les personnages intellectuels de mes autres films. Ici les personnages sont un peu à distance par rapport à moi, parce que dans Deus e o diablo même Corisco est un personnage intellectuel qui dit des choses que je pense, une sorte de vecteur de mes réflexions philosophiques. Pas dans O Dragão. C’est des personnages épiques, des personnages de western entièrement libres dans leur action et filmés d’une façon très froide ; participante et froide en même temps.
Le cinéma est un art qui doit se communiquer, si cela n’arrive pas il n’y a pas de sens à en faire : ça reste un produit technologique du XXe siècle destiné à être absorbé par la télé, une vieille chose qui ne trouve même pas de salle de projection. Le cinéaste moderne aujourd’hui est celui qui peut communiquer les problèmes les plus complexes et les plus profonds à travers un langage qui soit compris. Ce langage n’est plus celui du cinéma américain, langage dictatorial qui doit être réformé et brisé. Il y a un autre type de langage communicatif qui peut s’appliquer. O Dragão en est une tentative. Il a un esprit de western traditionnel dans le climat brésilien qui est le même que Deus e o diablo. Avec des constatations culturelles plus nettes. Différent de Terra em transe, qui est un film qui se déroule dans un milieu bourgeois, typique de certaines métropoles d’Amérique latine. O Dragão a pour scène un milieu paysan typiquement brésilien. Je suis sûr que ce film connaîtra un grand succès auprès du public. Et que la critique esthéticienne et préjudiciable dira à nouveau que j’ai abandonné les recherches de Terra em transe. Cela n’a pas d’importance, de même que ce qui a été dit de Deus e o diabo n’en a pas eue non plus. J’ai fait ce film comme on fait une expérience et le prochain ne lui ressemblera pas. D’ailleurs, c’est une expérience que je fais dans le cinéma latino-américain, mais sans intention d’ouvrir la voie à qui que ce soit, parce que je crois que tout cinéaste a sa propre voie. Un critique écrivait que mes films sont des voies pour le cinéma d’Amérique latine. Je suis contraire à ça et ça me semble absurde, de même que lorsqu’on dit que je suis le leader, le porte-parole, le théoricien du cinema novo … Je ne suis rien ; le cinema novo est un mouvement d’organisation et d’action, de production économique. C’est un diffuseur qui s’appelle DIFILM et un autre qui s’appelle MAPA FILMES. Culturellement, chaque cinéaste fait le sien, les films du cinema novo sont entièrement différents les uns des autres. Evidemment, nous, les cinéastes qui formons le mouvement, nous avons des points de vue communs d’intérêt esthétique, artistique ou culturel, mais les films de chacun sont différents. Et il n’y a pas telle ou telle tendance dominante. Je ne suis le porte-parole d’aucune théorie. Je cherche mon chemin comme, je crois, n’importe quel cinéaste latino-américain complexe et diversifié.
i Titre brésilien original. Le titre français étant Antonio das Mortes.
ii Titre français : Le Dieu noir et et le Diable blond.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles