MARDI 2 FEVRIER 2016 à 20 h ▶ Etoile bipolaire, de Caterina Profili
Etoile bipolaire
de Caterina Profili
France – 2014 – 62′
Pour Caterina, Laurence, Frédérie et Louis, être bipolaire c’est passer du paradis en phase maniaque aux enfers de la phase dépressive plusieurs fois au cours de leur vie.Caterina nous entraine dans une fanfare joyeuse et cacophonique, celle de son cerveau, où des méduses multicolores côtoient des poupées suicidaires sur des symphonies dirigées par un Arturo Toscanini enragé.
Avec humour et émotion, Caterina écarte les lourds rideaux des fantasmes et préjugés et dévoile le théâtre d’une maladie « malconnue ». L’histoire personnelle de Caterina, livrée dans ce film est un exemple éclatant de comment la maladie peut forger un destin.
Critique parue dans Le Monde, par Hélène Delye
Une évocation à la fois crue et poétique des troubles bipolaires
Il y a ce mouvement de balançoire, qu’elle filme à plusieurs reprises dans son documentaire. La caméra subjective fait qu’on y ressent ce haut-le-cœur grisant et un peu étourdissant, qui saisit chaque fois qu’on se balance très haut. Et puis il y a cette séquence, amorce magnifique du film issue des archives personnelles de sa réalisatrice, Caterina Profili.
On la voit enfant sur une plage de Toscane, jouant dans les vagues, filmée en Super-8. « J’ai 7 ans, je ne suis ni particulièrement jolie ni spécialement intelligente… Mais, en moi, s’agite la mer », commente la réalisatrice, avec sa voix d’adulte au bel accent italien. Quelle image vertigineuse et bien choisie pour évoquer les excès et les accès qui caractérisent les troubles bipolaires, les vagues d’exaltation auxquelles succèdent les tréfonds de la dépression.
Lorsqu’elle est en phase maniaque, Caterina Profili se sent toute-puissante, se laisse entraîner par ses fulgurances. Elle échafaude des projets impossibles, achète des billets d’avion, et fait des chèques en bois. Elle s’agite, c’est sûr, se débat, peut-être, jusqu’à s’effondrer. Tout à coup, elle plonge dans la torpeur de la dépression, se cloître chez elle, n’est plus capable de rien sauf de tenter de se donner la mort. « Une vie bipolaire est un parcours de fractures. »
« Créatifs, spirituels »
Dans Etoile bipolaire, la réalisatrice trace, avec aplomb et finesse, le portrait de sa maladie en racontant son propre cheminement, mais aussi en tendant son micro à trois de ses amis, tous bipolaires. Comme l’un deux, Louis, était en dépression pendant le tournage, on ne l’entend pas beaucoup… Mais on saisit tout, grâce à la parole posée et ouverte de sa mère, mais aussi grâce aux va-et-vient de Caterina Profili, qui s’enregistre quand elle se rend chez lui.
Avec persévérance, elle frappe à la porte du jeune homme, qu’elle voit comme « le fils qu’elle n’a pas voulu », l’encourage à ouvrir, à sortir de sa torpeur. Ces séquences, par leur ton, leur rythme, leur absence de discours, comptent aussi parmi les plus belles de ce film affectueux et, cependant, sans complaisance.
« Nous sommes brillants, altruistes, ironiques, créatifs, spirituels, voire mystiques, solidaires », entonne, avec fierté, la réalisatrice, à propos des bipolaires, qui peuvent être, aussi, sacrément fatigants, lorsqu’ils sont dépassés par leur propre exaltation, qu’ils délirent, exigent et ressassent sans fin. « Tout nous blesse, et nous restons incontestablement fous », dit encore Caterina Profili, dédiant son film au psychiatre Louis Bertagna (1920-2006), spécialiste de la dépression et des troubles bipolaires.
Grâce à la parole simple et parfois même rieuse de ses deux amies Laurence et Frédérique, la réalisatrice évoque sans détour le sentiment de culpabilité d’être malade (d’une maladie à la mode, en plus), mais aussi la question du suicide, qui couve chez chacune d’entre elles… Sans oublier les troubles alimentaires, l’envie récurrente de jouer avec ses propres limites, de ne prendre qu’à moitié – voire pas du tout – ses médicaments, avant d’atterrir à l’hôpital psychiatrique.
De ce film à la fois juste et cru, on retiendra aussi la musique saccadée et lancinante du grand chef d’orchestre Arturo Toscanini (1867-1957), dont la voix et les directions tonitruantes se sont réincarnées dans la tête de Caterina Profili depuis l’été 1978. Cohabiter avec les rugissements de Toscanini dans la tête, c’est original, mais c’est forcément déroutant.
Critique parue dans Moustique, magazine belge
Eclairant la vie intérieure des bipolaires, un témoignage singulier, entre humour et émotion brute.
Elle est « fille de l’excès ». Diagnostiquée bipolaire à l’âge de 30 ans, Caterina Profili vit entre l’exaltation bouillonnante de ses phases maniaques et l’enfer de ses phases dépressives. Une « étrangeté d’âme » tout en fractures, que la réalisatrice nous fait vivre de l’intérieur dans un documentaire très personnel, poétique et touchant. Avec un humour lucide, elle y dévoile les méandres de son esprit agité, ses obsessions, les fulgurances qui peuvent aussi « devenir coups de génie ». Un combat quotidien contre la folie qu’elle partage avec trois amis, également aux prises avec la maladie. En compagnie de Laurence ou de Frédérie, se fait jour une existence sur le fil, maintenue par un impressionnant cocktail de médicaments qui ne suffit pas toujours à chasser le désespoir. La peur de vivre. Les séjours en hôpital psychiatrique. Et les tentatives de suicide – déconcertante scène où Laurence et Caterina détaillent en plaisantant leurs différentes manières d’en finir.
L’amitié qui lie les trois femmes libère une parole d’une bouleversante sincérité, qui analyse avec calme les mille tourments de la psychose. Si le ton fuit la gravité, la réalisatrice injecte entre deux confessions de glaçantes illustrations métaphoriques sous forme de poupées suicidaires qui, sobrement, disent toute la violence des crises vécues.
Et puis, il y a Louis. Le quatrième héros de ce drôle de voyage en terres bipolaires, musicien enfermé dans sa douleur, ne cesse de se dérober à la caméra. Retranché dans sa chambre, il ne sera, tout au long du documentaire, qu’une présence fantomatique devinée derrière la porte close. Jusqu’à cette très belle séquence finale où, à la faveur d’une résurrection passagère, il se produit le temps d’un concert où rejaillit l’espoir. Une jolie conclusion pour ce film singulier, d’une sensibilité et d’une justesse saisissantes.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles