VENDREDI 14 OCTOBRE 2016 à 20 h ▶ Bird People, de Pascale Ferran
Bird People,
de Pascale Ferran
France – 2014 – 2h 08′
Avec Anaïs Demoustier, Josh Charles, Roschdy Zem, Camelia Jordana
En transit dans un hôtel international près de Roissy, un ingénieur en informatique américain, soumis à de très lourdes pressions professionnelles et affectives, décide de changer radicalement le cours de sa vie.
Quelques heures plus tard, une jeune femme de chambre de l’hôtel, qui vit dans un entre-deux provisoire, voit son existence basculer à la suite d’un événement surnaturel.
Les Inrocks – Serge Kaganski
Deux personnages centraux, soit deux chapitres, pour ce film qui pose un regard critique sur des existences aliénées. Une œuvre naturaliste aux envolées fantastiques.
D’abord, le cercle du carrefour piéton d’une gare de RER. Puis les lignes droites des escalators et couloirs arpentés par les travailleurs pressés. En quelques plans, Pascale Ferran annonce le sujet de son film : comment échapper aux vies qui tournent en rond ?
Comment se dégager de l’emprise des rails d’une existence de salarié ? Comment briser les géométries mortifères des circuits de l’aliénation ? Comment s’inventer une liberté, s’arracher à toutes les attaches et routines du métro-boulot-dodo qui nous plaquent au sol jusqu’à la suffocation, voire la dépression ? Pascale Ferran (et son coscénariste Guillaume Bréaud) vont tenter des éléments de réponse en suivant deux personnages dans le voisinage de Roissy, lieu d’envol par excellence.
[…] Ferran ne reste pas au rez-de-chaussée de la fable existentielle et sociale et décolle vers la pure sensation avec l’apport décisif du Space Oddity de David Bowie, filmant l’architecture de l’aéroport sous toutes les coutures, observant ce lieu clé de la globale modernité avec un mélange de fascination et de regard critique – un peu comme Tati filmait Tativille dans Playtime.
Le film suggère que le capitalisme contemporain aliène tout le monde, cadres supérieurs comme femmes de chambre, que la crise de sens généralisée est peut-être plus forte que l’affrontement des classes sociales. Il dit aussi que les utopies politiques sont sinon mortes, en tout cas peu attractives, et que la libération possible passe par un geste individuel. Mais difficile de planer durablement, d’échapper définitivement aux pesanteurs de la condition humaine. Le rêve, l’imaginaire, la rupture sont voués à la fugacité. A un moment, il faut atterrir, revenir au réel…
Le Monde – Sandrine Marques
Rares sont les cinéastes capables d’embrasser le monde contemporain et d’accueillir, dans leurs films, tout ce qui en fait la poésie et la mélancolie. Pascale Ferran compte au rang de ceux-là. Admirable témoignage sur l’époque, Bird People dresse le portrait d’individus qui décrochent, à l’heure, précisément, de la prolifération des connexions.
[…] Pascale Ferran n’agite donc pas les fétiches de l’époque à des fins décoratives. Elle livre, au contraire, une vraie critique sociale, grave et profonde mais que rattrape, dans ses derniers soubresauts, un ineffable sentiment de légèreté. Si les écrans isolent dorénavant plus qu’ils ne rapprochent, Bird People nous enseigne que la rencontre est encore possible, par d’autres voies, beaucoup plus spirituelles.
Rencontre avec Pascale Ferran
Il existerait donc un lien mystérieux entre la réalisatrice française Pascale Ferran et le monstre écossais du Loch Ness. Oui, pour la meilleure part qu’on puisse conjointement leur accorder : la souveraineté souterraine qui règle le cours de leurs apparitions entre deux plongées, le joli pied de nez à la loi commune, qu’on parle de raison ou d’industrie. Une magie, en un mot, une sorte de luxe étourdissant dans un monde si tapageur. Fondé sur la capacité à disparaître, puis à revenir, mais à sa main, à son moment, au terme d’un insondable retrait.
Aujourd’hui que sort en salles Bird People, son nouveau film qui donne à un moineau une partition singulière, on réalise que la dernière fois que Pascale Ferran aura été parmi nous, c’était le 24 février 2007 au soir, sur le petit écran. Elle braquait alors, avec Lady Chatterley, la cérémonie des Césars (cinq statuettes), tout en prononçant, au lieu de pleurer en remerciant sa mère, le discours le plus pertinent jamais entendu en telle occasion, sur la place du cinéma d’auteur en France, et la crise de financement qui le menaçait.
Il en naîtra le Club des treize, groupe d’étude et de pression fédérant des professionnels désireux d’harmoniser la donne.
Un bref rembobinage de sa carrière démontrerait la constance de sa conduite. Pascale Ferran, c’est le mariage d’un cœur chaud et d’une tête froide. Diplômée de l’Idhec en 1983, en même temps qu’Arnaud Desplechin et Eric Rochant, elle va mettre onze ans à réaliser son premier long-métrage, Petits arrangements avec les morts (1994), cathédrale de sable qui lui vaut la prestigieuse Caméra d’or à Cannes. Cette première consécration l’installe dans le paysage d’une manière pérenne. L’idée est celle d’une artiste au fort tempérament et au perfectionnisme intransigeant, dotée d’une temporalité inquiétante pour l’industrie mais d’un talent potentiellement miraculeux. Lady Chatterley, troisième long-métrage de fiction réalisé douze ans plus tard, attirera tout de même quatre cent mille spectateurs en salles.
Il lui aura fallu sept ans encore pour dévoiler Bird People, film plus secret que jamais, à propos duquel à peu près rien n’a filtré avant sa présentation au Festival de Cannes, le 20 mai. Le fait est exceptionnel compte tenu de la longueur de sa préparation et du « fuitage » plus ou moins organisé de tout sur la Toile aujourd’hui. Cela dit aussi quelque chose du rapport de confiance entretenu avec l’équipe du film autour de l’œuvre à faire, dans le genre moines-soldats défendant l’intégrité de leur foi contre les coups de boutoir des infidèles. Quelques jours avant le festival, dans un petit studio de montage installé dans une cour tranquille du Marais où nous la rencontrons, la question préliminaire qui brûle les lèvres, est donc : « Pascale Ferran, qu’avez-vous fait depuis votre disparition, au lendemain du 24 février 2007 ? »
Ce qui se donne dès lors à admirer est la stupéfiante capacité de votre interlocutrice à faire passer pour monnaie courante l’excentricité de son caractère. « Eh bien, pendant que je m’occupais encore de la promotion de Lady Chatterley, je me suis assez vite employée à monter, avec quelques amis, le Club des treize pour nous auto-saisir, en quelque sorte, des dysfonctionnements de la chaîne cinématographique. C’était passionnant, ça nous a pris un an. Pour moi, ça a été quasiment du plein-temps. » Il faut donc s’entendre sur l’idée d’excentricité chez Pascale Ferran. En l’occurrence, l’exact contraire du dandy qui œuvre à sa seule réputation : générosité, engagement pour le bien commun, oubli de l’intérêt bien senti.
On verra que cela est en profond rapport avec son nouveau film, auquel elle avoue commencer « à rêvasser » alors qu’elle s’occupe de ceux des autres. Menée de concert avec son scénariste Guillaume Bréaud, son écriture est relativement rapide, courant sur l’année 2009. C’est après que les choses se compliquent, pour des raisons à la fois intimes et techniques.
Intimes, parce que Pascale Ferran « ne pense plus que le naturalisme puisse aider à restaurer notre regard face à la dureté du monde ». D’où le désir de se jeter dans le vide, en revendiquant Peter Pan comme un « livre décisif dans constitution personnelle ».
Techniques, parce que ce désir débouche sur des effets spéciaux très compliqués et onéreux à mettre en œuvre, avec, pour vedette, un moineau filmé en décors naturels. L’animal, par son plumage et son comportement, se prête modérément à l’exercice : il faut en élever et en dresser une palanquée. Bilan : trois ans de fabrication, pour un film estimé à 10 millions d’euros mais réalisé à 7. Par ailleurs, et à l’invitation personnelle de la cinéaste, la critique est obligée de se museler, si elle ne veut révéler le bien joli pot aux roses du film. C’est le producteur, Denis Freyd, qui a dû s’amuser en inaugurant ainsi sa collaboration avec la cinéaste. Beau joueur, il se déclare totalement solidaire, suivi à pas plus feutrés par le distributeur Michel Saint-Jean – qui se demande de son côté comment promouvoir un aussi mystérieux objet, mais vise tout de même les deux cents salles.
Mais par quel désir, il est temps de le demander, ce film est-il mû ? « J’ai essayé de regarder comment le monde entrait en moi. Avec cette accélération du temps, ce changement incessant de régime, d’objet, d’activité, qui me rend dingue en fait. Avec aussi cette modification de l’espace public, qui devient une extension de l’espace privé, chaque individu y prolongeant, grâce aux nouvelles technologies, sa bulle privée. » Un monde devenu incompréhensible, tant sur le plan sensible qu’intellectuel, pour la génération des années 1960 ? « Je ne veux pas dire ça. Je suis prête à penser que ça va accueillir quelque chose de bien. Le fait est que nous sommes très nombreux à aspirer à autre chose. »
Et puis voilà que l’histoire qui en ressort – un businessman, une femme de chambre, un grand hôtel international – est rattrapée inopinément en 2011 par un fait divers sordide. « On s’est dit “mince !”, mais en même temps on était tellement loin de ça… », se rappelle Pascale Ferran. Si loin en effet dans ce pays cinématographique des possibles où « les oiseaux inventaient des choses ».
Jacques Mandelbaum
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles