MERCREDI 4 AVRIL 2018 à 20 h▶ Tourisme international, de Marie Voignier
Tourisme international,
de Marie Voignier
France – 2014 – 48′
Comment une dictature se présente à ses touristes? Quel récit, quels acteurs, quelle mise en scène mobilise-t-elle? Tourisme International a été tourné comme la captation d’un spectacle à l’échelle d’un pays, la Corée du Nord. Musées, ateliers de peinture, studios de cinéma ou usine chimique nous sont présentés par des guides nord-coréens dont on n’entendra jamais les voix. Car le film a été entièrement re-sonorisé au montage pour créer de toute pièce un univers sonore déconnecté des discours officiels : tous les sons ont été réenregistrés pour restituer l’épaisseur des espaces, le frémissement des touristes, les gestes des guides, à l’exception des voix. Les guides parlent mais on ne les entendra jamais ; et paradoxalement, ce mutisme des discours donne mieux à voir, en creux, la contrainte du régime sur les espaces et les corps.
Après les strates historiques et les paradis artificiels de l’Allemagne d’Hinterland (Fid 2009) et l’Afrique marquée par le regard de la colonisation de L’Hypothèse du Mokele-Mbembe (Fid 2011), Marie Voignier poursuit son exploration des imaginaires politiques et des utopies où mythes, récits et faits se croisent. Pour cet opus, ce sera la Corée du Nord. En ouverture, nous voici à Pyongyang, dans le bureau d’une institution officielle : un homme raccroche son téléphone – bruit du combiné téléphonique -, puis crépitement d’un flash alors qu’on le photographie. Il réagit, parle, mais de ses lèvres en mouvement, l’on n’entendra pas les mots, comme effacés. Tel est posé l’écart au travail entre ce qui se voit, se montre et peut se dire. Mais que dire et comment dire ce pays où tout est maîtrisé, contenu, et d’où rien ou presque ne filtre ? Se succèdent visites, ici un musée de peinture, là la maison natale du Président, inclinaisons respectueuses comprises. Un périple muet aux sons comme étouffés dans un pays où l’on apprend que le Président lui-même s’inquiète de chaque détail, où la peinture semble se substituer à la photographie, où tout le cinéma est doublé par crainte de débordements. Un voyage dans un pays en perpétuelle représentation où se confrontent deux logiques, celles du vouloir voir et du montrer : celle d’un pouvoir qui ne laisse rien au hasard, et celle du tourisme en recherche d’images.
Nicolas Feodoroff, FID Marseille 2014
Marie Voignier, cinéaste et vidéaste, ne rapporte pas de ses voyages des films de vacances banaux et dignes d’intérêt uniquement pour ses propres souvenirs. Bien au contraire. De son séjour en Corée du Nord, elle propose un documentaire militant et novateur, tant sur la forme que sur le fond. « Tourisme International » n’est pas un film de touriste mais un film sur le tourisme dans un pays en dictature. Le tourisme individuel en totale autonomie y étant interdit, les étrangers sont obligés de passer par une agence spécialisée pour organiser leur circuit et être accompagnés par un guide de l’État tout au long de leur voyage. Par l’intermédiaire de ce guide, le gouvernement peut alors transmettre l’image qu’il le souhaite de son pays. Marie Voignier a visité la Corée du Nord parmi l’un de ces groupes et livre un témoignage poignant, évidemment contraire à la majestueuse image du pays que les guides ont essayé de décrire.
Par un choix de montage, pas des plus simples mais des plus percutants, la réalisatrice critique les faits du gouvernement avec une justesse implacable. En effet, elle a décidé de couper le son et de ne postsynchroniser que les sons d’ambiance, oubliant ainsi volontairement les voix des guides. Ce procédé dérangeant souligne l’absence de sens réel de leurs propos et permet au spectateur de se concentrer uniquement sur l’arrière-plan. Seulement, quelques cartons le guident pour expliquer le contexte de la visite, mais la neutralité des cadrages et l’absence de commentaires de la part de la réalisatrice le laissent libre d’analyser lui-même les images et de tirer ses propres conclusions sur les conditions de voyage en Corée du Nord. Le film n’est probablement pas tourné intégralement en caméra cachée mais certaines images, régulièrement filmées à la taille, le sont certainement. Ces plans témoignent de la détermination de Marie Voignier à filmer, même lorsqu’elle ne devait pas en avoir la permission.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles