MERCREDI 2 MAI 2018 à 20h ▶ Makala, de Emmanuel Gras
Makala
de Emmanuel Gras
France – 2017 – 1h 36′
Au Congo, un jeune villageois espère offrir un avenir meilleur à sa famille. Il a comme ressources ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Parti sur des routes dangereuses et épuisantes pour vendre le fruit de son travail, il découvrira la valeur de son effort et le prix de ses rêves.
Dossier de presse – Entretien avec Emmanuel Gras
Où a été tourné Makala ?
En République démocratique du Congo, dans la région du Katanga, au sud du pays. Plus précisément autour de la ville de Kolwezi. C’est une région assez sèche, qui comporte d’immenses mines à ciel ouvert. En swahili, Makala signifie charbon.
D’où vient l’idée de ce film ? L’avez-vous eue en rencontrant Kabwita Kasongo ?
L’idée de ce film m’est venue avant de rencontrer Kabwita. J’avais déjà fait deux tournages en tant que chef opérateur dans cette région et j’avais été marqué par le fait de rencontrer partout des hommes et des femmes transportant à pied des chargements de toutes sortes. Même au milieu de la brousse, on était sûr de croiser quelqu’un transportant quelque chose. Mais c’est l’image de gens poussant des vélos surchargés de sacs de charbon qui m’a visuellement le plus frappé. Je me suis alors demandé d’où ils venaient, quelles distances ils parcouraient, qu’est-ce que cela leur rapportait… des questionnements très simples. Quel effort pour quel résultat ? Je me suis alors renseigné et j’ai écrit le projet. J’ai rencontré Kabwita en faisant des repérages, une fois les premiers financements obtenus. J’étais accompagné d’un journaliste congolais, Gaston Mushid, très connu là-bas, qui a facilité tout ce que je souhaitais faire. Je suis allé dans les villages autour de Kolwezi pour rencontrer des gens qui faisaient du charbon. J’ai rencontré Kabwita à Walemba et j’ai su très vite que je voulais faire le film avec lui. J’aimais son attitude, un peu en retrait mais pas timide, son allure, et surtout son regard, plutôt doux mais très vif. En vrai, il y a des gens pour qui on a simplement tout de suite de la sympathie, vers qui on est attiré et c’était le cas avec lui. Un an après, je suis revenu, et nous avons commencé à filmer.
Parlez-nous de Kabwita Kasongo…
Kabwita a 28 ans, il est marié à Lydie. Ils ont trois enfants : un bébé, Brigitte, Séfora, qui doit avoir 2 ou 3 ans, et Divine, 6 ans, qui vit avec une des soeurs de Lydie, à la ville, comme on le constate dans le film. Hormis cela, Kabwita n’a pas de parents dans son village. Son seul bien de valeur est son vélo. Kabwita et Lydie sont locataires de leur case, alors que d’autres habitants sont propriétaires. Ils sont donc pauvres, mais c’est le cas de l’immense majorité des villageois. On ne le voit pas dans le film, mais il a fabriqué lui-même ses outils. Il est très travailleur, il a des responsabilités, mais il a aussi un comportement très jeune : il va boire le mukuyu (une bière artisanale) avec ses amis, aime bien s’amuser. Il a une personnalité très marquée, il peut se moquer durement des autres. C’est un coriace sous des airs assez tendres.
Que dit sur leur vie quotidienne l’image du rat cuit par Lydie ?
Les villageois vont chasser dans la brousse, mais il n’y a presque plus d’animaux dans les alentours immédiats. A cause de la culture au brulis, on voit des feux de brousse un peu partout et les arbres sont coupés pour faire du charbon de bois. Autour de Kolwezi, la nature est dévastée. Les mammifères fuient. Restent des rongeurs et des oiseaux. Les rats sont donc chassés pour se nourrir, ça n’a rien d’exceptionnel. Sinon, l’alimentation de base est le fufu, à partir de la farine de maïs et le manioc. Les villageois élèvent aussi, comme on le voit, des canards, des poules et des petits cochons.
Qu’avez-vous dit à Kabwita avant de commencer le tournage ?
Je lui ai dit que je voulais filmer son travail de « charbonnier ». Du début à la fin, du moment où il coupe l’arbre jusqu’à la vente en ville. Et que je cherchais quelqu’un qui travaillait seul. C’était très simple et finalement suffisant. Il a tout à fait compris quelles étaient mes intentions. Et du coup, on discutait de ce qu’il allait faire, des étapes de son travail. Ça donnait un cadre assez précis et faisait qu’il pouvait prendre en charge son propre rôle. Je pense que le documentaire, surtout lorsqu’on suit une personne en particulier, devient une collaboration entre le filmeur et le filmé. Le « personnage » devient acteur de son propre rôle. Le documentaire lui permet une nouvelle manière d’être lui-même. Et Kabwita a occupé cet espace avec un naturel et une aisance incroyables.
Il ne fait pas de doute que Kabwita a une très grande conscience de la caméra…
Oui. Etant vraiment partie prenante du film, il s’est mis à créer des situations qui nous ont aidés à raconter notre histoire. J’ai été le premier étonné de la façon dont Kabwita et Lydie ont intégré ce que nous étions en train de faire. Il faut préciser que, comme je savais assez clairement ce que je voulais, nous ne les avons pas harcelés chez eux avec la présence de la caméra. Il y avait un contrat tacite qu’on n’allait pas chercher trop loin leur intimité. Ils montraient d’eux ce qu’ils voulaient, abordaient les mêmes sujets que ce dont ils parlent devant leurs voisins. Nous ne sommes jamais entrés dans leur chambre par exemple.
Quelle influence avez-vous eue sur le tournage ?
D’une certaine façon, ce que fait Kabwita est très influencé par nous. Ce n’est pas un documentaire « capté sur le vif » où l’on ne serait sensé que suivre les évènements. S’il a coupé un arbre à ce moment-là, c’est parce que nous lui avons demandé d’attendre que l’on soit prêt. Sinon, il l’aurait peut-être fait plus tôt ou plus tard. Et, comme on avait des contraintes de temps, il a organisé son travail en fonction. J’ai eu davantage l’impression de faire un tournage avec Kabwita et Lydie, comme il est spécifié dans le générique, que sur eux. Cela dit, au moment où nous filmions, nous n’intervenions pas et, dès lors, j’avais le sentiment qu’ils vivaient simplement leurs vies. Gaston me traduisait ensuite rapidement ce dont ils avaient parlé.
Dans les moments de difficulté physique que Kabwita a connus avec son chargement, n’avez-vous pas été tenté de l’aider ?
Il y a notamment cette longue montée difficile qui peut poser question à certains. Mais pour moi, le contrat du tournage était que je reste avec lui : je suis là, derrière ma caméra, je travaille avec lui, je cherche les meilleurs angles pour faire exister son travail, même si c’est évidemment beaucoup moins éprouvant physiquement. La sympathie, au sens de « souffrir avec », que je voulais faire ressentir aussi au spectateur, vient du fait que l’on restait ensemble, pas du fait que je m’arrête et pousse avec lui s’il y avait des difficultés.
L’argument de Makala est assez ténu. À quel moment avez-vous su que vous teniez un film ?
Les contraintes financières m’interdisaient de partir en Afrique pendant des mois pour y filmer en cherchant un sujet. Il m’est donc venu ce principe d’ordre fictionnel, qui comporte un début et une fin : quelqu’un va d’un point à un autre avec un objectif et rencontre des difficultés. En l’occurrence, ce quelqu’un a fabriqué du charbon et va le vendre. C’est la première fois que dans un projet de documentaire, j’introduis une telle narration. Et par ailleurs, visuellement, il y avait cet homme qui poussait un vélo. J’avais imaginé les multiples manières de filmer l’effort. Mais j’avais un énorme doute sur le fait que cela suffise à constituer un film. D’autant que cet effort est extrêmement répétitif… Je suis donc parti à Kolwezi avec une idée et des doutes. Tout ce qui s’est ajouté à cette base minimaliste a eu valeur de bonus. Par exemple, la puissance cinégénique de Kabwita. Ou la découverte de cet arbre immense. J’étais loin d’imaginer qu’il serait aussi grand. Quand je l’ai vu et ensuite quand on a filmé la scène, j’ai senti que j’avais quelque chose. Lorsqu’on a en tête un projet réduit à l’essentiel, cela permet de percevoir la richesse des éléments qui s’ajoutent, même modestes. Alors que si le projet initial est mirifique, on ne voit plus rien d’autre. Une certaine forme de dénuement induit une position d’accueil.
En voyant Makala, on peut songer à Gerry, de Gus Van Sant. Aviez-vous ce film en tête ?
J’y ai pensé, en effet. Gerry, qui m’a laissé des impressions très fortes, est la preuve qu’on peut faire un film avec peu. Notamment par rapport à la marche. Il y a plusieurs plans en particulier, où les deux personnages ne parlent pas mais où on les entend marcher et respirer. Ces plans m’ont donné la sensation de ce que c’est que marcher. Quant à moi j’ai essayé de rendre la sensation de l’effort qui consiste à pousser pendant longtemps un vélo avec un chargement. J’aime aussi beaucoup le cinéma de Bela Tarr. Chez lui la caméra a une présence physique, elle se déplace beaucoup. Le premier plan du Cheval de Turin, qui est un long travelling où la caméra tourne autour d’une carriole tirée par un cheval, m’a beaucoup impressionné.
Votre film est très matérialiste et en même temps ouvre sur une dimension conceptuelle…
Ce qui m’intéresse, c’est de faire surgir du concret une autre dimension. Le concret, c’est la rencontre de l’homme physique avec la réalité matérielle du monde. Cela peut passer par l’effort, la douceur… On existe par l’action que l’on a dans le monde. Si les enjeux sont simplifiés au maximum, comme dans Makala, ressort de façon très claire l’effort de l’homme pour continuer à vivre. Or, en tant que cinéaste, je vois surgir de cela une beauté humaine, qui dépasse le prosaïsme. Il y a une beauté dans le savoir-faire que Kabwita met en oeuvre pour construire le four, par exemple.
Vous disiez plus haut que votre intention n’était pas de capter sur le vif. Que cherchez-vous dans le documentaire ?
Je cherche l’expressivité, non le réalisme. Je n’aime pas l’esthétique réaliste, dans le sens de reproduire le plus fidèlement possible le réel. Souvent cela va avec une neutralisation de celui-ci : on essaie de ne pas en faire trop et du coup on se refuse à rendre compte de notre émotion. Ce que je veux réussir à faire, c’est rendre la réalité la plus expressive possible. Chercher par quels moyens faire exister plus encore ce qui est là. L’un de ces moyens étant de fixer son attention visuelle sur un élément. Cela passe aussi par la durée et par le découpage. Dans Bovines, j’ai fait des gros plans d’herbe qu’une vache était en train de brouter. Je tenais ces plans très longtemps. Suffisamment pour que le spectateur finisse par se dire : « Tiens, c’est étrange, cette bouche qui vient brouter l’herbe, ce bruit, ce corps… ». Des sensations inattendues et indéfinissables arrivent à ce moment-là. Dans Makala, c’est pareil : la roue qui rentre dans le sable donne la sensation d’un poids. On sent la machine, le vélo qui s’enfonce et devient un élément vivant.
Parlons d’un autre aspect du film. Vouliez-vous faire entrer Kabwita, que l’on a vu souffrir, dans un horizon chrétien ?
Pas spécialement. Je désirais filmer un lieu de culte parce que la religion est très présente au Congo et que Kabwita, comme tout le monde là-bas, est croyant. Lors d’une veillée de prière, où il y a des chants, des transes et des prêches, Kabwita peut communier avec d’autres êtres humains qui partagent sa situation. Ils ne cherchent pas nécessairement une rédemption, mais déchargent toutes leurs peines. C’est un grand moment d’expression de leur désespoir mais aussi de leurs espérances. Chez Marx, il y a toute une réflexion sur le fait que la religion est l’expression du monde dans lequel on est. Vue ainsi, la religion est humaine. Elle m’intéresse à regarder parce que c’est une manière comme une autre qu’ont trouvée les êtres humains pour exprimer ce qu’ils ressentent vis-à-vis de leur condition. J’ai vu cela à l’oeuvre et cela m’a profondément touché alors que je suis athée.
Quel est le rôle de la musique de Gaspar Claus ?
Toute musique d’inspiration africaine, donc rythmée, aurait provoqué une redondance par rapport au rythme de la marche. Je souhaitais autre chose. J’en suis arrivé à l’idée du violoncelle, qui a une gamme de basses et d’aigus très larges. Dès que j’ai entendu les compositions de Gaspar Claus, j’ai été convaincu que c’était la musique qu’il fallait : Gaspar joue seul et travaille le violoncelle de telle sorte qu’on entend la matière de l’instrument, le crin sur l’archet, les frottements sur le bois… Le travail a consisté à simplifier au maximum les mélodies, avec des répétitions de motifs, et peu de notes. Pour résonner avec l’image d’un homme seul qui marche. La musique ne devait pas non plus être surplombante par rapport à l’action, mais devait en déployer les potentialités. Par exemple, dans le plan où on voit trois hommes, dont Kabwita, poussant leur vélo, la musique permet de dilater le temps tout en créant une tension. Elle fait exister plus fortement les images et fait corps avec le film tout en le faisant « décoller » : on sort du constat de l’effort pour arriver à une sensation, plus existentielle, une solitude humaine.
Makala est superbe plastiquement, tout en évitant l’esthétisation de la misère.
J’avais tourné Bovines entièrement avec une caméra sur pied et cette fois j’ai fait l’inverse, je n’ai même pas emporté de trépied. C’était un choix pratique et esthétique. Je voulais être le plus mobile possible. Je disposais de deux caméras différentes. Une caméra à l’épaule, avec laquelle on obtient des mouvements assez bruts, donc sensément plus « expressifs ». Et un appareil photo assorti d’un petit système de stabilisation, proche d’un « rendu steadycam ». Au final, je constate que j’ai beaucoup utilisé le système stabilisé, qui est d’une certaine manière plus « esthétique », simplement parce que cela permet de faire des plans plus longs qu’on regarde sans être gêné par les cahots. Du coup, je crois que l’on est plus attentif à ce que l’on voit. L’expressivité que je cherche ne passe pas nécessairement par un rendu plus directement expressif de la caméra, elle vient de l’attention que l’on porte aux choses. Et puis, comme Kabwita et ce qu’il accomplit me semblent beaux, j’avais envie de faire exister cette beauté. ■
Propos recueillis par Christophe Kantcheff
Damné de la terre, par Thomas Choury
Les premières séquences de Makala interpellent d’emblée : la rusticité du décor – un petit village africain, presque désert, quelques maisons bricolées, une sensation de chaleur étouffante causée par une savane desséchée et l’abondance de poussière – tranche avec la splendeur des images, filmées au Steadicam et traversées par les halos du soleil qui rendent la lumière presque irréelle. Tout se joue dès les premiers instants : la douceur du mouvement de la caméra qui suit le héros Kwabita répond à l’aridité du lieu, la sophistication visuelle renvoie au prosaïsme de l’action filmée, l’élan mythologique qui s’empare du film contrebalance la brutalité du réel qui est représenté. Makala repose entièrement sur une harmonie des contraires que la virtuosité d’Emmanuel Gras parvient à faire vibrer jusqu’à son point d’incandescence. Ouverture saisissante d’une œuvre qui ne cesse de faire croître la puissance qu’elle porte en elle.
Le dernier des hommes
Jamais, cependant, le film ne se départ de sa simplicité. Dans le sillage d’un cinéma documentaire ethnographique, Makala est d’abord un film d’observation qui attache la plus grande importance au moindre geste de son personnage, que celui-ci appartienne au domaine du travail ou au contraire au domaine des rites et de la superstition (les deux tendant à se confondre progressivement). On pourrait le résumer à quelques mots : le quotidien d’un charbonnier pauvre en République Démocratique du Congo, de la fabrication – Thomas Chourydu charbon dans la nature à la vente à la sauvette en ville. Mais c’est donc moins le sujet ténu que la façon dont le montage supporte le récit et retient sa finalité le plus longtemps possible qui importe ici. La décomposition de chaque étape de la préparation du charbon en séquences de durée et d’intensité équivalentes (le choix et la coupe de l’arbre qui servira de matière première, la confection et l’allumage du four en terre pour brûler les morceaux de bois, le tissage des fagots de charbon et l’entassement méthodique sur le vélo qui permettra le transport) et l’assemblage chronologique par blocs structurent le film au présent, donnant l’impression que l’action se crée en même temps que celui-ci est projeté. Le mystère qui entoure la première demi-heure de Makala – jusqu’à la révélation que l’objectif final de cette succession de gestes est la production de ballots de charbon – n’est en rien artificiel. Au contraire, en nourrissant l’attention que l’on porte sur Kwabita, il amorce une double détente : la mise en scène d’Emmanuel Gras humanise son héros jusqu’à intensifier chaque instant de sa vie modeste et sublimer sa technique rudimentaire. Et de cet anoblissement du concret, émane une figure de sainteté.
Deux plans prennent en charge ce passage du monde des hommes vers quelque chose qui les dépasse. Alors que tout le début du film est marqué par la suavité et la proximité du mouvement du Steadicam, la valeur du plan où l’arbre s’effondre sous les coups de hache de Kwabita est plus large, la lumière plus brute, la caméra tressaille comme si c’était le monde entier qui se mettait à trembler. Un simple changement d’échelle inattendu provoque cette sensation démesurée. Ce tellurisme renvoie aussi aux plans sur le four à charbon, semblable à une terre ardente. Plus tard, alors que le périple du héros vers la grande ville a commencé et que la caméra témoigne de la souffrance endurée à pousser, seul, le vélo surchargé de charbon le long des routes ensablées, un simple mouvement vers la droite révèle l’existence de quatre autres hommes, identiques en tout point. Renforcé par les violoncelles du musicien Gaspar Claus, ce plan si bref et si soudain tétanise, comme si à lui seul il figurait un impératif catégorique dont le film s’est investi.
Exorcisme
Cœur du film, cette épopée solitaire sur le bord de la route, de jour comme de nuit, offre des images impressionnantes : celles d’un homme démuni face à l’hostilité du monde dont les manifestations prennent aussi bien la forme de véhicules motorisés plus gros les uns que les autres, roulant à tombeaux ouverts à côté des charbonniers (le son du vrombissement a semble-t-il été augmenté pour souligner encore mieux ces orages mécaniques) ou celle de racketteurs, postés le long du chemin et avides de faire payer le passage au prix fort. Dans ces longues séquences naît un étrange sentiment de malaise et qui interroge directement le regard que l’on porte sur ce Sisyphe moderne : jusqu’à quel point la douleur peut-elle être supportée, quand elle est vécue et quand elle est vue ? La grande force de Makala est de ne jamais céder à la moindre tentation voyeuriste ou suppliciée. Au contraire, chaque pause dans le maigre récit est l’occasion de montrer la grande dignité du personnage principal : en quelques plans dans le foyer domestique au début ou dans l’appartement familial à la ville, la caméra ne pénètre jamais dans les pièces les plus intimes mais Emmanuel Gras saisit des bribes de rêves de Kwabita, le plan d’une future grande maison, les petites chaussures pour sa fille malade…
Par ces allers-retours entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, Makala embrasse presque d’un trait de plume, la filiation d’un esclave moderne du capitalisme mondialisé, dernier maillon d’une chaîne prédatrice, aux héros de nos mythes les plus universels. Lors de l’éblouissante séquence finale – un exorcisme collectif dans une petite maison de prière où se mélangent de façon syncrétique les rythmes traditionnels et les chants religieux – la caméra s’attarde sur chaque visage, un par un, défigurés par la transe. La splendeur de cet épilogue tient aussi à sa construction : alors qu’on pense l’avoir perdu de vue dans cette foule, Kwabita réapparaît dans les derniers instants, au fond de la salle. D’abord timide, il se prend au mouvement et se met à danser jusqu’à l’épuisement. On le voit alors repartir, son vélo déchargé, l’âme apaisée. Le héros est redevenu un homme parmi les siens.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles