JEUDI 31 MAI 2018 à 20h ▶ Avant la fin de l’été, de Maryam Goormaghtigh
Avant la fin de l’été
de Maryam Goormaghtigh
France/Suisse – 2017 – 1h 20′
Après 5 ans d’études à Paris, Arash ne s’est pas fait à la vie française et a décidé de rentrer en Iran. Espérant le faire changer d’avis, ses deux amis l’entraînent dans un dernier voyage à travers la France.
Dossier de presse – Entretien avec Maryam Goormaghtigh
Comment est née l’idée de ce road movie ?
J’ai commencé le film il y a presque quatre ans, depuis ma rencontre avec Arash, Ashkan et Hossein. J’étais à un moment de ma vie où j’avais envie ou besoin de me reconnecter avec mes origines. Ma mère est iranienne et je prenais des cours de persan à l’Institut des Langues Orientales parce que c’est une langue qu’on ne m’a pas transmise et que j’avais envie d’apprendre. Je les ai rencontrés à ce moment-là. Je suis rentrée dans un café un soir d’hiver alors qu’il neigeait et j’ai vu ces trois garçons magnifiques qui parlaient persan. On a discuté, sympathisé. Assez vite, quand on s’est revu, j’ai apporté ma caméra et ils s’y sont habitués.
A la manière d’un documentaire ?
Au tout départ, j’imaginais peut-être faire un film sur eux, qui étaient comme des morceaux d’Iran pour moi, mais petit à petit, c’est devenu un film avec eux. Au fur et à mesure de nos rencontres, ils se sont emparés du dispositif de ces rendez-vous filmés pour se poser la question de ce qu’ils faisaient en France, de leur situation. Tout ce dont on parle dans le film, ce sont des discussions qu’on a eues en amont. Je m’en suis servie pour écrire le film. Le service militaire qui rattrape Hossein, on en a beaucoup parlé. Il a vraiment été confronté au dilemme de devoir choisir entre rentrer en Iran et effectuer son service ou ne plus pouvoir remettre les pieds en Iran. Arash, lui, a grossi pour être exempté et il doit rester gros pour continuer à l’être. Ce sont des situations graves mais comme c’est leur quotidien, ils arrivent à en rire. Cet humour est très iranien.
Quand avez-vous su que votre film serait aussi une fiction ?
C’est un long processus, je les ai filmés sans trop savoir ce qu’on allait faire avec ces rushs. Je ne savais même pas si c’était une démarche que je faisais pour moi ou pour en faire un film. Quand Arash a déclaré qu’il allait repartir en Iran parce qu’il était malheureux en France, je me suis dit qu’il y avait un point de départ suffisamment dramatique pour élaborer un film autour de leur histoire d’amitié. Après, j’ai construit un suspense autour de « Arash va-t-il tomber amoureux ? » et donc peut-être, rester en France. C’était une sorte de fil rouge romantique. Avant tout, c’est un film sur l’amitié et la séparation. Bien sûr, la séparation imminente qui guette ces trois amis renvoyait à une séparation plus profonde, celle que l’on ressent quand on vit loin de son pays, comme un arrachement.
Les situations sont-elles toutes improvisées ?
J’avais des fantasmes de situations, c’est tout. Pour moi, la démarche reste documentaire parce qu’il n’y a pas de dialogues. La rencontre avec les deux filles par exemple, je l’ai organisée mais je ne savais pas ce qui allait se passer, c’était un pari. Je voulais confronter mes trois personnages, notamment Arash qui avait certains préjugés, à deux Françaises croisées sur la route. Je connaissais Charlotte. Elle m’avait avoué qu’elle avait un petit faible pour les garçons enveloppés alors je me suis dit « ok, voyons ce qu’il se passe avec Arash ». A partir de là, tout ce que je filme est réel et spontané.
Arash, Ashkan et Hossein traversent la France des petits villages, des campings, des guinguettes et des fêtes foraines, c’était le choc des cultures ?
On est parti deux semaines et demi sur les routes avec une vieille Renault Espace à 900 euros trouvée sur Leboncoin, quelques tentes dans le coffre et la caméra. L’idée est venue d’Ashkan et Hossein qui voulaient montrer à Arash autre chose que Paris, il n’y avait pas de volonté de ma part de les confronter à la « France profonde ». J’ai passé toutes mes vacances dans un petit village en Alsace, je suis très attachée à la campagne et à ces fêtes un peu ringardes qui finissent en karaokés. J’ai adoré filmer le 15 août à Noirétable, son char fleuri, ses Miss, et tous ces habitants qui semblent tout droit sortis de photos des années 60 avec leur habit du dimanche, je les trouve très beaux. Cela évoque pour moi tout un tas de références cinématographiques, notamment les documentaires de Raymond Depardon.
Vous aviez d’autres films en tête ?
Partir sur un coup de tête est toujours très cinématographique. « Le plein de super » d’Alain Cavalier me fait beaucoup rire. Les acteurs ont écrit le film avec Cavalier, ils ont fait le film ensemble, comme nous. Et puis j’aime beaucoup « Des jours et des nuits dans la forêt » de Satyajit Ray, l’histoire de quatre hommes qui partent en forêt prendre du bon temps. Il y a un rythme oriental dedans que j’adore. Arash incarne le rythme iranien à lui tout seul, dans sa démarche, sa présence, sa manière de parler, qui est très poétique.
Vos personnages ne correspondent pas aux codes de l’amitié virile. Ils sont tactiles, attentionnés, sentimentaux, ils se réconfortent.
Exactement, ils n’ont pas cette virilité exacerbée qu’on accole souvent aux groupes de garçons orientaux. Au contraire, ils sont tout en finesse, quand ils doutent, ils ouvrent un recueil de poèmes pour se laisser guider. Ils m’ont séduite tout de suite par leur générosité, leur douceur, leur tendresse, leur pudeur. Quand Arash dit que la lune le rend triste parce qu’elle lui rappelle le moment où il devait quitter ses copains d’école, c’est une façon de dire à Hossein et Ashkan qu’ils vont lui manquer.
Physiquement, ils sont très typés, comme des personnages de BD.
Très vite, j’ai senti le potentiel de cinéma de ce trio d’amis qui avait un vrai côté burlesque. Arash c’est la mascotte ! Il est très à l’aise avec son corps, ce n’est pas du tout une entrave pour lui. Dans la peinture, la corpulence m’inspire beaucoup et je trouve le corps d’Arash particulièrement inspirant. Quand il est allongé avec son ventre qui déborde, c’est sa manière à lui d’être extrêmement généreux avec moi parce qu’il sait que je vais le filmer avec tendresse et bienveillance. Effectivement, il compose les plans naturellement. Quand il est devant l’objectif, il suffit de poser la caméra et on a un cadre.
Derrière la comédie de vacances entre potes se cache aussi un film mélancolique sur le mal du pays, le déracinement.
C’est une mélancolie que je partage. Pendant la guerre, ma grand-mère est venue vivre avec nous en Suisse. On m’avait tenue à l’écart de l’Iran et en même temps la culture iranienne était là partout à la maison. Quelques années après, ma grand-mère est repartie en Iran et est morte là-bas. Avec ma mère, on n’a pas pu assister à l’enterrement, je n’ai pas fait le deuil. Quand j’ai pu aller me recueillir sur sa tombe plus tard, j’ai senti que quelque chose s’alignait. Avec le film, j’ai comblé aussi un manque, je me sens à nouveau entière et en même temps, toujours un peu flottante. Et je sais aussi que ma mère, encore aujourd’hui, quand elle regarde du haut de sa fenêtre les Alpes au loin, c’est en réalité la chaîne de l’Alborz qu’elle contemple.
A un moment donné, Hossein dit qu’il est plus heureux en Iran mais qu’il préfère la personne qu’il est devenue en France. Est-ce que cette phrase ne résumerait pas l’espèce de schizophrénie qui travaille les gens déracinés ?
Si, totalement. En même temps, ce sentiment est très universel, sans doute qu’un Français qui a quitté son village pour la capitale pourrait ressentir la même chose. Pour mes personnages, venir en France est une promesse de recommencement, d’émancipation. Ils se sont construits sur ce déracinement qui les oblige tout le temps à se positionner et à faire des choix. En apparence, Hossein semble être le plus « intégré » parce qu’il a trouvé l’amour en France mais il est peut-être aussi le plus torturé, même s’ils sont tous les trois un peu perdus et que l’Iran les hante.
Le film fait beaucoup de bien en parlant de migration de façon totalement dépolitisée et tendre.
Oui mais mon but n’était pas de réaliser un film-sujet. Le désir de cinéma pour moi ne vient pas d’un sujet à traiter mais d’ailleurs. Il se trouve que j’ai eu le coup de foudre pour trois hommes que je trouvais être des personnages de comédie, et qui par ailleurs, étaient travaillés par des problématiques graves que connaît toute personne déplacée. Plus que parler de migration, le film parle avant tout de l’amitié et de l’entre-deux dans lequel se situent Arash, Ashkan et Hossein quelque part au milieu d’un long processus d’adaptation. C’était important de donner à voir ces personnes-là autrement que comme des étrangers avec le tampon « migrants » sur le front. Ce sont des jeunes auxquels on peut totalement s’identifier avec leurs problèmes d’amour et de drague.
Pour la musique, vous avez fait appel à un spécialiste de la contrebasse, Marc Siffert.
Je voulais entendre cet instrument ponctuer le film parce que Arash est une contrebasse. Il a une manière d’être, de marcher, très jazzy.Dans la voiture, les garçons écoutent beaucoup de musique persane des années 70, une musique d’avant la révolution. C’est drôle parce qu’ils semblent nostalgiques d’une période qu’ils n’ont pas connue.
Vous filmez beaucoup le ciel la nuit : une étoile filante, la lune qui grossit petit à petit, comme dans un conte.On a l’impression que quelque chose de bienveillant veille sur eux comme dans un conte.
Je crois beaucoup en ma bonne étoile, à la chance. L’idée d’ouvrir ce recueil de poèmes de Hafez et se laisser guider par ce qu’il dit, me plaît beaucoup. C’est une véritable bible pour les Iraniens qui le consultent à tous les moments importants de leur vie. La lune qui grossit progressivement, c’est le temps qui avance et l’imminence du départ d’Arash, mais la pleine lune c’est aussi le visage de la bien-aimée dans la poésie persane tout comme le fin croissant de lune son sourcil. L’étoile filante, elle est authentique ! J’étais en train de filmer le ciel et elle est arrivée, j’ai eu cette chance inouïe !
Une scène qui vous a marquée durant le tournage ?
Quand Arash prend Charlotte comme un sac à patates pour lui faire traverser la mer, je ne m’y attendais pas du tout. Tout à coup, c’était le géant Rostam, le plus fort des héros de la mythologie persane que j’avais devant moi. Il devenait littéralement un héros. J’ai l’impression que je l’ai vu s’ouvrir, se déployer. Il n’est plus le garçon avachi du début avec sa clope. Comme si le film avait révélé ce qu’il y avait d’héroïque chez lui. De toute façon, je ne vais pas les lâcher. La prochaine fois, j’ai l’intention de tourner un film avec eux en Iran. Ce sont mes muses, mes trois grâces !
Le Monde – Entretien avec Maryam Goormaghtigh
Durant la conversation, à trois ou quatre reprises, sur ce ton sans appel de qui connaît la musique, elle dit : « Ça, évidemment, vous ne l’écrivez pas. » Il y a donc, chez cette jeune femme de trente-cinq ans qui signe un premier long-métrage si libre, spontané et insouciant, une disposition à la maîtrise, à la variation savamment dosée des confidences et des informations, à la distillation parfaite des éléments communicables et des choses qu’il convient, pour le bien du film, de ne pas dévoiler. Ne nous faisons pas, pour autant, plus naïfs que nous ne le sommes. On sait bien que le cinéma est un art impur, une illusion concertée, une manière, au mieux, de chercher la vérité en recourant à de constants arrangements avec la réalité, parfois à des mensonges nécessaires.
Maryam Goormaghtigh, séduisante jeune femme brune au prénom iranien et au nom flamand, était programmée pour composer avec cette impureté du monde, pour en pénétrer les codes avec aisance. Sa mère est une anthropologue iranienne tombée précocement amoureuse de la culture et de la langue française. Son père un sinologue franco-belge, ethnomusicologue, spécialiste du qin, la cithare chinoise. Marié jeune, le couple s’installe en Suisse, où enseigne Georges Goormaghtigh et où naît Maryam. Dotée de rien moins que trois nationalités (elle est alors suisse, belge et française) et sous l’influence de deux pôles culturels omniprésents – « le bureau de ma mère, c’était l’Iran, celui de mon père, c’était la Chine », confie-t-elle –, la jeune femme, curieuse depuis toujours de cet idiome universel qu’est le cinéma, se forme à l’Institut supérieur des arts (Insas) de Bruxelles, avant de s’installer en France, où elle vit depuis dix ans.
Un concours de circonstances
Le film Avant la fin de l’été (Festival de Cannes 2017), tel qu’en parle son auteure, semble naître de trois causes conjuguées. La première est sa reconquête, depuis six ans, de la culture et de la langue iranienne, son désir de creuser cette part d’elle-même et de découvrir un pays où elle séjourne désormais régulièrement. La seconde, intimement liée à la première, est la rencontre fortuite à Pigalle (Paris 17e), « au bar Le Cyrano, un soir de neige », des trois étudiants iraniens qui vont devenir ses personnages. L’amitié naît rapidement de cette rencontre et l’envie de la filmer est immédiate. « Notre amitié, qui est très forte, s’est construite d’emblée sur un projet de film à définir. Dès le début, j’ai amené une caméra avec moi sans trop leur demander leur avis, et ils se sont pris au jeu. Ça a duré quelques années avant que nous franchissions le pas. » Troisième cause, enfin, son tempérament trempé qui l’a poussée à claquer la porte de l’Insas en dernière année (« Ils ne voulaient pas de comédie comme film de fin d’études ! ») et à se lancer seule, à corps perdu mais en amitié, dans ce film échevelé et partageur.
Echouant à faire financer ce projet trop insolite pour convaincre les organismes officiels, elle trouve à Genève un avocat iranien qui met la main à la poche pour les dépenses courantes après qu’une liste précise du prix des péages, des campings et des lessives l’ait convaincu, outre son originalité, du sérieux de l’entreprise. Elle loue un vieux monospace, choisit les étapes du film (du Forez à l’Hérault), se charge de réserver les campings, de tenir toute la logistique avec une copine qui suit pour convoyer le matériel, convainc deux amies musiciennes de jouer le rôle des deux filles musiciennes, opère seule sur le tournage (Canon C100 et micros HF obtenus gratuitement par le comédien Ashkan), donne les directions de scènes improvisées récapitulant des années de discussions et de connivence, sachant que le scénario proprement dit « tient sur quelques Post-it ». Deux semaines de ce régime – sans parler du détail qu’elle soit seule face à trois garçons, gentils mais quand même – la laminent. Le résultat est formidable, rendu possible par une expérience qui ressemble à ce que Maryam Goormaghtigh dit de l’Iran, « pays où rien n’est permis mais où tout est possible ».
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles