VENDREDI 15 JUIN 2018 à 20 h ▶ L’été de Kikujiro, de Takeshi Kitano
L’été de Kikujiro
de Takeshi Kitano
Japon – 1999 – 2h 01′ – VOSTF
Avec Takeshi Kitano, Yusuke Sekiguchi
Masao s’ennuie. Les vacances scolaires sont là. Ses amis sont partis. Il habite Tokyo avec sa grand-mère dont le travail occupe les journées. Grâce à une amie de la vieille femme, Masao rencontre Kikujiro, un yakusa vieillissant, qui décide de l’accompagner à la recherche de sa mère qu’il ne connait pas. C’est le début d’un été pas comme les autres pour Masao…
Nicola Brarda
Après le très acclamé Hana-Bi, point d’orgue de sa carrière, Takeshi Kitano abandonne provisoirement le registre sombre, violent et poétique qui lui avait valu une reconnaissance internationale pour revenir à une autre veine, plus apaisée, dont on voyait déjà les prémices dans A Scene at the Sea (1991). Dernier film de la décennie des années 1990, où la production de l’auteur trouve son apogée (le tournant des années 2000 lui portera préjudice, du moins aux yeux de la critique), L’Été de Kikujiro constitue littéralement un instant de vacances, aussi bien par sa thématique que dans la carrière du cinéaste. Une interruption habilement exploitée, où celui-ci peut laisser libre cours à son imagination, son humour et son sens de la mise en scène.
Le film a pour protagoniste un petit garçon timide, Masao, vivant seul avec sa grand-mère, et que l’absence de sa mère rend triste et mélancolique. Alors que l’été arrive et qu’il voit ses amis partir en vacances, l’enfant décide de rejoindre cette dernière après avoir déniché son adresse sur un colis postal. C’est alors qu’intervient une amie de famille, qui lui offre quelques milliers de yens et le confie aux soins de son compagnon, Kikujiro, pour mener à bien le voyage.
L’anti-adulte
Le compagnon ne semble pas des mieux choisis, puisqu’il gaspille aussitôt l’argent aux courses : c’est le début d’un parcours qui refuse la ligne droite et la planification au profit d’un road trip bancal, où se multiplient les haltes, en hôtel cinq étoiles puis dans les champs (selon le budget), ainsi que les rencontres. Le tout porté par un duo réunissant un garçon mutique, coupe au bol et regard résigné, et un loubard interprété par Kitano, qui joue à apprivoiser son propre personnage de yakuza pour se transformer en figure rassurante, sorte d’oncle un peu canaille mais avec un bon fond.
Le génie comique du film naît bien sûr de ce renversement : ce n’est plus l’homme qui veille sur l’enfant, mais l’enfant qui devient spectateur et complice d’une sorte d’anti-adulte aussi drôle qu’irresponsable. […]
Le Monde – Jacques Mandelbaum
L’enfance réinventée
En vérité, et tout le film tient sur cette dimension spéculaire, Kikujiro et Masao sont une seule et même personne. Kitano y met en scène à la fois l’enfant qu’il a été (Masao) et le père qu’il aurait aimé avoir (Kikujiro est le nom de son père). L’un et l’autre s’additionnant, donnent le Kitano fantasque, farceur qui, tel un grand enfant, confère à son film la fonction d’un terrain de jeu, à charge pour l’adulte de l’animer. Jouer aux Indiens dans un champ de maïs, jouer à se faire peur face à une bande de vrais délinquants, jouer avec les anges, jouer à regarder le monde avec les yeux d’une libellule, jouer à se déguiser en pastèque ou en extraterrestre, jouer à insulter les gens, jouer à savoir nager et manquer de se noyer. Jouer pour se réinventer une enfance.
L’Eté de Kikujiro est par voie de conséquence un film moins romanesque et initiatique que poétique et mélancolique. Un film qui nous accoutume, enfant comme adulte, à l’inéluctable abandon de nos parents. Un film qui ne regarde pas l’avenir, trop occupé à trouver, ici et maintenant, une forme vivable pour un temps qui ne s’étreint qu’au passé. Loi à laquelle se plie la forme du film elle-même, qui n’est autre qu’un art du burlesque requalifié, un héritage du muet définissant l’intrigue comme le rapport funambulesque et disproportionné qu’entretiennent les personnages à l’espace.
Ajoutez à cela la création lancinante, au lyrisme fêlé, de ce compositeur de génie qu’est Joe Hisaichi, et vous obtenez, s’il fallait choisir, le film qu’il faudra montrer à vos enfants cet été. Le seul, s’entend, qui en vaille la peine, parce qu’il les fera grandir en célébrant les vertus de l’enfance.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles