MERCREDI 3 OCTOBRE 2018 à 20 h ▶ See you in Chechnya, de Alexander Kvatashidze
See you in Chechnya
de Alexander Kvatashidze
France/Géorgie/Estonie/Allemagne – 2017 – 68′
1999, Géorgie. Jeune étudiant aux Beaux-Arts de Tbilissi, je tombe amoureux d’une femme française. Elle est photographe de guerre, je décide de l’accompagner sur le front tchétchène. Ma vie en sera bouleversée. Dix ans plus tard, je refais le chemin à l’envers. See you in Chechnya est un film profondément personnel sur la guerre et ce qu’elle fait aux hommes qui la regardent.
L’avis de Tënk
L’ouverture de « See you in Chechnya » est digne de celle d’un film noir : une voix-off, la silhouette d’un homme dans le noir, le son d’une trompette, une voiture qui file dans la nuit. Elle donne le ton, puisque c’est à travers ses souvenirs et son imaginaire que le réalisateur nous raconte sa fascination pour les reporters de guerre. Suivant une femme journaliste en Tchétchénie, il met un pied dans ce monde qui lui est alors inconnu, mais qui ensuite le questionnera toujours : pourquoi des gens vont-ils à la guerre alors qu’ils n’y sont pas obligés ? Que vont-ils chercher ? En mêlant ses archives personnelles et celles des médias de l’époque, le réalisateur revient sur les rencontres qui ont marqué profondément sa vie.
Lysa Heurtier Manzanares, réalisatrice
« La guerre, à deux pas d’ici, était très différente de la télévision. Les gens mouraient à côté de moi, mais je me sentais, d’une façon ou d’une autre, protégé par mon appareil photo […] Le pire, c’étaient les corps des enfants […] je continuais à photographier alors que je commençais à perdre le sens du temps, les choses se mélangeaient dans ma tête […] Je m’aperçus que je ne réagissais plus au bruit de la guerre, il était en train de devenir routine. » (Alex)
Critique de Lorenzo Bagnoli, traduit de l’italien par Cassandra Bardelli
“Pourquoi tu pars pour la guerre si tu n’es pas obligé d’y aller?” See you in Chechnya se développe autour de cette question fondamentale. Le documentaire a un parcours circulaire: il commence à Shantili, village à la frontière avec la Tchétchénie, et se termine à Shatili, laissant le spectateur dans l’interrogative.
Le metteur en scène et photographe Alexander Kvatashidze est le protagoniste d’un voyage poignant dans les replis de l’âme humaine, un voyage à la recherche de la banalité du mal et de la fascination qu’il provoque. Kvatashidze le raconte en voix off, d’un ton presque détaché. Le contrepoint est le bruit du projecteur à travers lequel Kvatashidze revit son expérience photographique en Tchétchénie.
Au début, la guerre est, pour le metteur en scène, synonyme d’amour : il a franchi la frontière qui sépare la sécurité de la Géorgie du danger tchétchène par amour pour la photographe française dont il s’éprend en 1999. La force du sentiment estompe la mort et la douleur qui dévastent la Tchétchénie. Kvatashidze se raconte comme en transe : appuyer sur le déclencheur, observer, violer l’humanité sans pudeur devient quotidien.
À la fin de cette expérience de guerre, l’auteur reste en suspens : le temps n’existe plus, ni les lieux, ni les frontières. Tout reste ailleurs, dans une dimension paranormale.
See you in Chechnya est la recherche d’un modèle, de quelqu’un qui sache expliquer pourquoi l’homme ressent une telle attraction pour la mort. Le résultat est d’une banalité tragique : l’homme est réduit aux limites de son être. Certains ont tout sacrifié pour leur métier. D’autres ont trouvé la réponse dans la solitude. Certains ont arrêté d’avoir peur. D’autres encore ont repris une vie normale. Certains ne cherchaient qu’une excuse pour se sentir mieux que les autres.
Le fragile Kvatashidze émerge comme le vrai modèle qui a eu le courage de filmer son histoire passionnelle, sans filtres et sans filet. Son film nous permet de nous interroger sur ce que signifie la liberté de la presse. Elle peut parfois en appeler au voyeurisme ou à une certaine complaisance dans la vision des images de guerre.
« Pourquoi tu vas à la guerre si tu n’es pas obligé ? »
Cette question est là encore dans son esprit, en attente douloureuse frémissante de réponse. Comme un disciple en quête de son modèle, Alex commence son voyage dans la mémoire, les images et les visages qui ont marqué son expérience en Tchétchénie et dont il ne s’est jamais détaché comme si la guerre continuait à vivre en lui.
« Je voulais savoir si la guerre les a changés comme elle m’a changé »
Ce film a été vu et choisi grâce à Tënk, la plateforme du documentaire de création.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles