MERCREDI 6 MARS 2019 à 20 h : Les Lauriers-roses rouges, de Rubaiyat Hossain
Les Lauriers-roses rouges
de Rubaiyat Hossain
Bengali – 2015 – VOSTF – 1h 28′
Avec Shahana Goswami, Rikita Shimu, Mita Rahman
Dans un Dacca en pleine mutation, Roya doit relever son premier défi. Comédienne dans la trentaine, le metteur pour qui elle interprète le même personnage inlassablement depuis des années la trouve désormais trop vieille. Elle va alors repenser sa vie, son art, sa place dans une société masculine et ses propres désirs. Rubaiyat Hossain nous offre ici un beau portrait de femme en pleine construction.
Under Construction
Roya, comme le suggère le titre anglais du film, est « en construction ». Sans revendiquer un message féministe, Rubaiyat Hossain l’utilise comme un symbole de ces femmes assoiffées d’indépendance mais conscientes du certain fatalisme de leur condition – ainsi de la détresse de Roya quand elle constate que sa domestique, enceinte avant le mariage, n’a plus d’autre choix que de s’installer dans un bidonville (et semble s’en contenter). Roya a toutes les clefs en main pour prendre son envol mais le veut-elle vraiment?
La cinéaste parvient enfin – et c’est un véritable tour de force – à introduire subtilement un commentaire sur l’ensemble de la société bangladeshie en entrecoupant les scènes de la vie bourgeoise de Roya avec des plans quasi documentaires sur la condition ouvrière au Bangladesh. L’effet, qui aurait pu alourdir le film d’un propos secondaire inutile, prend tout son sens dans une très belle séquence où Roya, qui revient du bidonville où habite son ancienne domestique, se rend compte qu’elle marche au milieu d’ouvriers se rendant au travail en file indienne, comme des automates vides d’humanité. Roya y trouve l’inspiration pour reprendre le rôle principal et produire une version contemporaine de la pièce de Tagore, Les Lauriers-Roses rouges (Red Oleander), dans laquelle l’héroïne incite des esclaves à se libérer de leur condition. La boucle est bouclée.
Dossier de presse
Entretien avec Rubaiyat Hossain
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
J’ai toujours été quelqu’un de visuel. Enfant, je voulais devenir peintre. J’ai toujours adoré les histoires, et je passais tout mon temps à lire. Quand j’étais jeune, j’ai lu tous les livres de Satyajit Ray et, en grandissant, j’ai commencé à regarder ses films. Il a été ma première inspiration, et m’a donné envie d’entrer dans le monde du cinéma. J’y voyais la possibilité de combiner mes deux passions : le monde des images et celui des histoires.
Le cinéma entretient selon vous, une relation très particulière avec les femmes…
Oui… Le cinéma est un médium très puissant. Un médium qui a toujours utilisé le corps de la femme pour provoquer un plaisir érotique chez le spectateur. Les femmes sont réifiées dans les films. Il y a donc le plus grand potentiel et la plus grande urgence à remettre en question cette notion à travers le cinéma lui-même.
Votre film est basé sur la pièce d’un auteur fondamental de la Renaissance bengalie : Rabindranath Tagore, Prix Nobel de littérature en 1913. Satyajit Ray lui-même a construit plusieurs de ses films sur l’œuvre littéraire de cet auteur. En quoi vous semblait-il toujours pertinent au XXIème siècle ?
Lorsque j’ai voulu faire un film sur le Dacca contemporain, j’ai trouvé qu’avoir la pièce de Tagore en arrière-plan était parfait. Les Lauriers-roses rouges est la dernière pièce de Tagore, il l’a éditée en 1926. Elle a été publiée à un moment où le monde entier célébrait l’industrialisation, mais pas Tagore. Non, lui décida de s’attaquer à l’industrialisation et au capitalisme. Mon film traite de l’industrie textile au Bangladesh, une industrie où les ouvriers travaillent jour et nuit pour des sociétés européennes et américaines. Ces ouvriers ne rencontrent jamais leur véritable “chef”, celui pour lequel ils travaillent. Le chef/roi est caché, tout comme dans la pièce de Tagore.
Ces ouvriers meurent dans des effondrements d’immeubles, des incendies, leurs vies ne sont que des chiffres. Mais je voulais aussi défier Tagore. La modernité de sa pièce ne se retrouve pas dans la manière qu’il a de traiter la Femme. Je voulais remettre en question l’icône que représente Nandini, en mettant en scène de véritables personnages féminins, qui sont des individus à part entière.
Pourquoi ce besoin de défier Tagore sur la place de la femme ?
Le parcours des femmes de classe-moyenne au Bangladesh est ambitieux. Les femmes de la classe moyenne d’aujourd’hui semblent, en surface, libérées et émancipées. Toutefois, elles doivent toujours faire face à un plafond de verre et une forme de domination silencieuse de la part de la famille. Et elles doivent adhérer au rôle traditionnel de la domesticité et de la maternité. Je voulais regarder attentivement la vie d’une femme qui n’était pas prête à mettre son mariage et sa maternité en premier, une femme qui voulait mettre sa passion pour l’art en premier. Cette femme est qualifiée d’égoïste. Cette femme est oppressée, et on ne sait pas si elle sera capable de s’accrocher à son art et à son travail, mais elle lutte. C’est une femme comme moi, cette femme est mon amie et les femmes autour de moi. Je voulais dépeindre cette expérience dans ce film. Je voulais aussi parler du fait que les femmes de différentes classes sociales et d’âges différents peuvent avoir des notions différentes de la liberté et de l’émancipation.
Dans Les Lauriers-roses rouges, le parcours de Roya, l’actrice issue de la classe-moyenne, et celui de Moyna, l’ouvrière d’usine, sont bien différents. Je voulais juxtaposer ces deux femmes afin de faire ressortir les complexités des expériences de femmes, qui ne peuvent être homogénéisées.
Que pouvez-vous nous dire du tournage ?
Le tournage des Lauriers-roses rouges fut une expérience très excitante car j’avais majoritairement des femmes dans l’équipe ! Nous avons partagé nos expériences personnelles durant le tournage, et nous avons eu le sentiment de devenir une vraie famille. Partager nos expériences en tant que femmes et faire refléter cela dans le scénario et la réalisation du film a fait de ce tournage une expérience très personnelle. On s’est toutes senties très investies à raconter cette histoire qui parlait des femmes. Plusieurs scènes ont été tournées en extérieur, dans un style documentaire. Nous avons tourné dans les rues de Dacca, dans les usines, dans les bidonvilles, dans les quartiers riches. Tout au long du tournage, j’ai fait l’expérience de ma ville comme je n’avais jamais pu la vivre auparavant. En tant que femme, ce n’est pas facile d’errer dans les rues de Dacca, mais pendant le tournage, comme j’étais toujours entourée de mon équipe, je me sentais en sécurité. On pouvait être dehors dans les rues même à trois heures du matin, une expérience véritablement libératrice pour nous tous.
Que pouvez-vous nous dire sur le fait d’être une femme réalisatrice ?
C’est un défi, il y a très peu de femmes réalisatrices au Bangladesh. Seulement douze femmes ont fait des films dans l’histoire du Bangladesh, et la plupart d’entre elles étaient des actrices devenues réalisatrices : elles ont fait un film puis ont disparu. Au début, quand j’ai commencé à tourner au Bangladesh, j’ai dû faire face à de nombreux doutes vu que la réalisation est considérée comme un travail d’homme. C’était compliqué d’obtenir la confiance de mes acteurs et de mon équipe. Mais je n’ai pas cessé de travailler, et les choses sont devenues un peu plus faciles. Avec la sortie des Lauriers-roses rouges plus tôt cette année au Bangladesh, mon travail a été reconnu aussi bien par le public que par le milieu du cinéma. Je reçois beaucoup de retours positifs de la part de femmes, ce qui est enthousiasmant. Par exemple, la plus vieille organisation pour les droits des femmes au Bangladesh, Mahila Parishad, m’a remis un titre spécial pour Les Lauriers-roses rouges, un honneur que je chéris tout particulièrement. J’ai l’impression qu’en faisant des films, j’ai pu m’émanciper. Faire des films m’a rendue forte, et d’une certaine façon, cela m’a fait transgresser les barrières de genre.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles