VENDREDI 14 JUIN 2019 à 20 h : Il se passe quelque chose, d’Anne Alix
Il se passe quelque chose
d’Anne Alix
France – 2018 – 1h 41′
Avec Lola Duenas, Bojena Horackova
Un road movie féminin, humaniste et social à la rencontre d’une Provence hors des sentiers battus.
Avignon. Irma, qui ne trouve plus sa place dans le monde, croise sur sa route Dolorès une femme libre et décomplexée en mission pour rédiger un guide touristique gay-friendly. L’improbable duo se lance sur les routes. Au lieu de la Provence pittoresque et sexy attendue, elles découvrent une humanité chaleureuse qui lutte pour exister. Pour chacune d’elle, c’est un voyage initiatique.
« Il se passe quelque chose est un film sur l’amitié et une fenêtre ouverte sur la beauté du monde. Deux femmes se rencontrent par hasard au bord d’une route. L’une est très libre, heureuse de vivre, mais il lui manque quelque chose d’indéfinissable. L’autre voudrait quitter la vie, parce qu’elle ne parvient pas à surmonter le deuil de l’homme qu’elle a aimé. Entre elles, se tisse un lien. De la confiance qu’elles se témoignent, naît peu à peu leur confiance dans le monde qu’elles parcourent. Il y a des rencontres avec des gens généreux et fraternels. Il y a aussi des cheminées d’usine au milieu des champs d’oliviers, des ronds–points incongrus fichés au cœur de la campagne, des horizons illimités. Nous sommes dans les Bouches–du–Rhône, en Camargue, au bord de l’eau, entre la mer et les bras du fleuve. C’est le territoire de la réalisatrice, son territoire intime, dont elle sait capter la lumière douce, rendre la majesté étrange, entre plages nichées à l’ombre des hauts–fourneaux et nature souveraine, raconter la vie des habitants surtout, qu’elle filme dans des rôles inspirés de leurs propres histoires. Pour filmer, il faut aimer. De cette vérité, la réalisatrice fait un acte de cinéma. Parce que nous voyons le monde à travers les yeux des deux héroïnes, que leur amitié rend à la vie, ce que nous voyons est ennobli, magnifié par leur regard. Il se passe quelque chose de politique. Car voir à travers le prisme de l’amitié, révéler l’humanité des gens, n’est–ce pas aller à la source même de l’engagement.
Mathieu Lis, cinéaste, membre de l’ACID
Dossier de presse
NOTES SUR LE FILM
De l’écriture au tournage
Il y a quelques années, alors que je filmais des groupes de parole, je découvrais avec un certain étonnement que le malaise que j’éprouvais vis à vis de la société actuelle – pour le dire vite, le monde capitaliste ultra individualiste et libéral – était largement partagé. Par les exclus, ce qui paraît peu étonnant, mais aussi par les inclus (la façade de bien–être se lézardait très vite dès qu’on grattait un peu). Au final, une question collective sourdait de ces rencontres: « quelle place pour l’humain aujourd’hui? ». C’était décidé, elle serait la question centrale de mon film, et Irma, une femme qui ne trouve plus sa place dans le monde, en serait le vecteur. L’idée fut très vite d’opposer ce personnage perdu à son contraire, une femme hyper–adaptée à la modernité, travaillant dans le tourisme, pointe avancée du nouveau monde, figure ultime de la colonisation du vivant. Ainsi Irma et Dolorès étaient nées. Un scénario vit le jour, nourri du réel dont j’aime bien m’inspirer. La fabrication d’un long–métrage n’étant pas un long fleuve tranquille, les années ont passé. Il y a un an, j’ai décidé de remanier le scénario et de confronter mes 2 personnages (dont je gardais la trajectoire et le background) au réel. Au lieu de rencontres pré–écrites, Irma et Dolorès iraient au devant des humains d’aujourd’hui. Une fois cette décision prise, nous avons circonscrit notre terrain de jeu : un tout petit territoire à l’ouest de l’étang de Berre qui nous permettait d’explorer tout à la fois un bout de Camargue (Port St–Louis du Rhône), une terre agricole (la plaine de la Crau, ses vergers, ses bergers), une énorme zone industrielle et portuaire (Fos, Port de Bouc, Martigues) et son monde ouvrier et populaire, une zone ultra aménagée (Istres, ses ronds–points et ses pavillons)… Sur quelques dizaines de km se tenait devant nous un petit cœur du monde. Tous yeux et toutes oreilles ouvertes, nous l’avons exploré pendant un mois (avec Luis Bértolo), ouverts aux rencontres, aux hasards, à tout ce qui pouvait aussi résonner avec les thématiques du film. De cette récolte, de nouveaux personnages sont apparus (Dora et sa « Réparation », l’équipe E.S.P.R.I qui cherche à filmer l’invisible), des personnages se sont transformés, une thématique nouvelle est apparue, celle de la migration. Quasi tous ceux que nous rencontrions venaient d’ailleurs. Je pris rendez–vous avec certains des derniers venus, les demandeurs d’asile du CADA de Miramas. Ce jour là, en face de moi 15 personnes venues d’horizons divers, et le sentiment très fort de me retrouver face à un échantillon de l’humanité… Il fallait évidemment s’emparer de cela. Le film est une trame construite autour de ces réalités multiples traversées qu’il met en écho les unes avec les autres pour qu’elles dessinent une image du monde d’aujourd’hui. Il est né de ces rencontres, de ces énergies partagées et des visions qu’elles ont produites en moi.
L’enjeu du film, la rencontre
Le pari du film est celui des rencontres. Certaines totalement documentaires, comme celle du karaoké où j’avais décidé qu’Irma parlerait publiquement de son suicide – la réaction spontanée des gens, d’une humanité immense, a surpassé de loin mes espérances. D’autres plus construites, comme celle avec Serge, qui tenait un rôle dans le film que je lui demandais d’investir à sa manière. Avec les non–professionnels nous n’avons pas répété, juste testé le fait d’être devant une caméra ou cherché à connaître leurs talents. Nous avons travaillé un lien d’où est né une confiance mutuelle, une confiance aussi dans ce que nous étions capables d’inventer ensemble ici et maintenant. Après le mois d’exploration, je suis partie écrire, puis revenue leur proposer des rôles, pour eux. Pendant le tournage, mes indications de texte ont été minimales, elles donnaient surtout l’enjeu de la séquence ou la thématique que je souhaitais déployer (comme dans la scène en voiture entre Jean et Irma, l’idée d’une nouvelle vie et celle de la lutte). L’exercice a été sensiblement le même avec les comédiennes : hormis les scènes entre elles, tirées du scénario, je leur ai demandé d’incarner leur personnage au beau milieu du réel, de laisser venir les choses, de ne pas en avoir peur. C’est donc à un magnifique lâcher-prise de leur part que nous assistons. Le film peut donc se voir à certains endroits comme leur portrait face à des personnes que ma proposition transforme en acteur pour l’occasion.
L’intime et le collectif
Comment habitons nous le monde? Quelles rencontres sont possibles aujourd’hui? Les 100 minutes du film explorent cela. Au cours de ce voyage qu’on pourrait dire initiatique, le réel se densifie, on quitte un monde lisse, menacé de vacuité (l’Avignon touristique, les zones pavillonnaires, le village des marques – faux village provençal et centre commercial à ciel ouvert) et l’on rentre peu à peu dans un monde où l’homme est encore au monde… Un monde peuplé d’humains, d’usines, où la nature bien qu’abimée et sans cesse menacée montre encore toute sa puissance. Le film devient polyphonique. L’histoire de Dolorès et d’Irma nous laisse entrevoir d’autres histoires toutes aussi riches. La communauté humaine existe, je l’ai rencontrée. La vie court et la joie aussi. Elles nous indiquent le chemin de la lutte à venir. Bien au delà des slogans, celle pour la beauté et la vie.
La comédie et le discours
Le pari du film est celui de la légèreté et de la vie. Le duo des deux personnages construits sur le modèle de la comédie, un duo auguste et clown blanc, lunaire et solaire… Plutôt que d’assener un discours critique qui risquerait d’enfermer le réel, j’ai choisi le mode interrogatif et fait le pari du surgissement. Les choses sont montrées, notamment la multitude d’invisibles, si souvent fantasmés et si rarement vus, et c’est au spectateur de faire son chemin avec ça. Les outils de la modernité sont mis à l’épreuve du réel. Gps, téléphone portable, google trad… Qu’est–ce que rencontrer l’autre? Est–ce que communiquer suffit? La scène de la rencontre avec le berger donne lieu a un moment de vérité. La comédie est là, elle nous interroge dans nos pratiques et nos certitudes. A nous de jouer.
Anne Alix – avril 2017
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles