VENDREDI 25 OCTOBRE 2019 à 20 h : Louise Wimmer, de Cyril Mennegun
Louise Wimmer
de Cyril Mennegun
France – 2012 – 1h 20′
Avec : Corinne Masiero, Jérôme Kircher, Anne Benoit
Insoumise et révoltée, Louise Wimmer a tout perdu.
Armée de sa voiture et de la voix de Nina Simone, elle va tout faire pour reconquérir sa vie.
Entretien avec Cyril Mennegun
De quelle façon vous êtes-vous intéressé au cinéma, au point par la suite d’avoir eu envie d’en faire ?
Dans ma ville natale, Belfort, j’étais en total refus de la vie qui m’attendait, en me demandant par goût du défi ce qui serait pour moi le plus intéressant, le plus improbable aussi. Le cinéma s’est imposé, quoi de plus inaccessible ? Je voyais ce monde réservé à un milieu social autre que le mien, avant de réviser mon jugement par la suite. Mon premier rapport avec le cinéma, les plateaux de tournage, ça a été l’émission télévisée Cinéma Cinémas. Je me souviens d’un reportage sur Pialat au travail, qui m’avait fasciné, et d’un autre avec John Cassavetes et Gena Rowlands. J’ai écrit un premier projet de court-métrage, en 1998, cherché de l’argent, une équipe. C’était l’histoire toute simple d’un rendez-vous amoureux manqué. Ce film a marqué ma rencontre avec Thomas Letellier, qui signe aujourd’hui l’image de Louise Wimmer.
Qu’avez-vous fait entre votre premier court métrage en 1998 et Louise Wimmer ?
J’ai réalisé un premier documentaire, en 2001, et j’en ai enchaîné plusieurs pour France 5 et Arte. Puis j’ai rencontré mon producteur, Bruno Nahon, qui m’a accompagné sur Tahar l’étudiant et Le Journal de Dominique. L’envie de fiction était bel et bien là depuis toujours mais sans la confiance de Bruno, je n’aurais peut-être jamais franchi le pas.
Quelle est la genèse du personnage de Louise Wimmer ?
A l’origine du personnage, il y a une femme que j’ai rencontrée pour un documentaire. Il y a également un peu de ma mère, de ma tante, qui ont été des “femmes de”, qui ont eu de l’argent, et ont tout perdu du jour au lendemain, quand le mari les a quittées. A l’approche de la cinquantaine, elles se sont retrouvées sans statut, sans argent, sans possibilité de rebondir. Beaucoup de gens se battent et font tout pour sauver les apparences, alors qu’ils vivent des situations extrêmement graves sans aide aucune, car ils sont invisibles. Comme Louise Wimmer, ils sont dans l’impossibilité de dire qu’ils ont besoin d’aide. Cela me vient de ces femmes avec qui j’ai grandi. Elles avaient une fierté sauvage poussée à outrance. Une fierté qui pouvait devenir un piège pour elles car à un moment donné, s’il est nécessaire de demander de l’aide et qu’on ne le fait pas, il faut une sacrée force pour tenir le coup. J’ai passé mon enfance et mon adolescence à les observer, à me laisser influencer par leur beauté, leur héroïsme quotidien, alors Louise c’est un peu moi aussi.
Il y a une belle scène dans Louise Wimmer, quand elle fait le ménage chez une personne et revêt une robe noire, se maquille. On imagine alors la femme qu’elle était auparavant.
J’ai voulu faire de ce personnage de femme une héroïne de cinéma à part entière, avec ses multiples visages : celui d’une personne détruite par l’expérience de la vie, et celui de la femme qu’elle est encore au fond d’elle même, capable de séduire, d’aimer, de se battre. Cette facilité qu’ont les femmes à porter des masques, à revêtir des apparences, à se transformer, me fascine. C’est toujours la même femme, mais plus le même personnage. En cheminant vers ce long-métrage, avec tout ce qu’il faut traverser pour faire un premier film, il m’a d’abord fallu trouver l’actrice pour qui écrire… Je voulais qu’elle soit grande, rousse et approche de la cinquantaine. J’ai cherché un peu partout, jusqu’au jour où, en regardant un téléfilm, je suis tombé sur une femme dans une voiture qui éclatait de rire. J’ai enregistré la suite pour avoir le générique et retrouver son nom. Je suis entré en contact avec son agent, et le lendemain j’étais à Roubaix pour la rencontrer. En la voyant venir de loin, j’ai eu la certitude immédiate que c’était elle et aucune autre.
Corinne Masiero est formidable et en même temps elle n’appelle pas la compassion. Elle tient tête, elle se bat. C’est un choix de votre part ?
Plus qu’un choix, c’est pour moi un acte fort. Je ne voulais pas que Louise appelle à la compassion, mais que le film rende hommage à sa force, sa fierté autant qu’à ses fragilités qui affleurent petit à petit dans la narration. Louise doit aussi beaucoup à une autre femme, Valérie Brégaint, la monteuse du film qui s’est beaucoup investie dans ce projet, encore une belle rencontre. Et puis comme dans la vie, il arrive que l’on rencontre quelqu’un qui nous fait une drôle d’impression, désagréable parfois, puis on se met à l’aimer pour finalement ne jamais l’oublier. Louise, c’est ça, une rencontre. Quant à Corinne, c’est un petit miracle, un coup du sort, je voulais une actrice, grande, rousse et balaise, j’ai cherché et un jour je suis tombé sur cette magicienne, envouté immédiatement, j’avais ma Louise. L’écriture du scénario pouvait commencer, car j’ai écrit Louise pour elle. J’avais bien entendu la trame, mais j’avais besoin d’un visage, d’un corps pour écrire.
En voyant Louise Wimmer, j’ai pensé à Laurent Cantet et à L’Emploi du temps où le personnage, pour d’autres raisons, passe ses journées dans sa voiture. La voiture est le second personnage de votre film.
L’Emploi du temps est un film crucial dans mon parcours et si cela se voit alors tant mieux. Je crois que je ne pourrai jamais oublier les détails de ce film, le visage d’Aurélien Recoing, l’échange de regards entre lui et son réalisateur et cette voiture qui nous embarque vers un destin. Pour Louise, la voiture permet de fuir, de se rendre sur son lieu de travail et pour elle, de se loger. Le véhicule de Louise Wimmer est une extension de sa personne. Certes un refuge, un symbole de sa galère, mais aussi une métaphore : comme Louise cette voiture est grande, solide, un peu abîmée mais toujours très classe.
La voiture est associée à la nuit. Le plan où Louise Wimmer avance entre deux poids lourds pour siphonner de l’essence pourrait venir d’un film d’horreur. La scène de nuit où deux types rôdent autour de sa voiture fait peur aussi.
Je ne sors pas du point de vue de l’intérieur de la voiture et ne montre pas ces hommes autrement. On est avec Louise Wimmer et on vit le monde à partir de ce qu’elle entend et voit. J’ai tourné des choses plus explicites, que j’ai supprimées au montage, préférant suggérer, susciter le hors-champ sonore. Louise est intelligente, toujours dans la lumière, ne stationne pas dans des lieux exposés au danger. Elle a pour habitude de se garer la nuit dans des rues résidentielles, sauf ce jour-là, où on peut supposer, même si le film ne l’explique pas, qu’elle n’avait pas assez de carburant pour aller où elle a l’habitude d’aller.
Louise Wimmer affronte les gens en les regardant dans les yeux. Elle leur fait toujours face, sans se dérober.
Elle a des yeux qui disent : « je t’emmerde. » Cela provient de Corinne, de la violence magnifique qu’elle a à l’intérieur d’elle-même, de ses propres expériences de vie, et d’une volonté de ma part de suivre un personnage qui ne se soumet pas. Elle toise, elle affronte car si on baisse les yeux, ce qui vient en face, on ne le voit pas.
Quand elle démarre sa voiture, cela enclenche toujours la même chanson, qui fonctionne comme un gag à répétition. D’où est venue cette idée ?
C’était au tout départ du projet. Tout simplement parce que j’ai connu une personne qui avait un CD coincé, qui démarrait toujours en même temps que sa voiture. Ça me rendait fou tout en m’amusant beaucoup. Je ne voulais pas de musique originale sans vouloir pour autant d’un film où elle serait absente et comme j’avais envie de faire venir de la musique contre l’avis du personnage, cette histoire de CD coincé était idéale. Et quand elle en aura ras le bol, il n’y aura plus de musique dans le film. Quant à Nina Simone, elle était présente elle aussi très tôt. C’est un exemple de femme qui n’a jamais baissé les yeux ni courbé l’échine, à la fois sublime et monstrueuse, une méchante femme, une drôle de voix, avec de la douleur en elle. Donc pas étonnant que Louise aime ça. Cela convenait à la nuit. C’est Thomas Letellier, mon chef-opérateur, qui m’a suggéré cette chanson, Sinner Man.
Et la chanson finale ?
Je ne voulais pas de chanson française, car on interprète tout de suite les paroles en fonction de la situation et celle choisie, Days of Pearly Spencer de David McWilliams colle avec le rêve américain à deux balles des tours HLM, le côté Eldorado. Là, on se laisse emporter par la musique et si on comprend un peu les paroles, tant mieux. Après le hasard fait bien les choses, quand on entend Milk white skin, on découvre le visage de Louise et pour la première fois un sourire qui l’irradie… On partage alors sa joie tout en réalisant que ce n’est pas le paradis non plus, ce que la musique suggère avec les images en contre-plongée sur les tours d’habitation. Accéder à un logement décent est un rêve avec la certitude de ne plus être seul. Ce qui persiste de beau dans ces quartiers, ce sont les personnes qui y vivent. Ces barres de béton racontent bien des choses et sont pour Louise la promesse d’un nouveau départ. Rivée au sol, sur quatre pneus, elle va vivre au 15ème étage et voir la vie autrement, comme un aigle.
Après Louise Wimmer, vers quelle direction souhaitez-vous aller ?
Je termine le scénario de mon prochain film Insight. Je l’écris sur mesure pour Tahar Rahim et pour Alexandre Guansé qui sera la découverte du film. J’ai filmé Tahar dans un docufiction, Tahar l’étudiant (2005), et entretemps il est devenu cet acteur incroyable. Il voulait devenir acteur, et moi, cinéaste. J’ai commencé à penser ce projet pour lui bien avant Louise Wimmer et Tahar a décroché le rôle de Malik dans le film de Jacques Audiard quand j’obtenais l’Avance sur recettes pour le mien. Dans la vie aussi il y a des hasards magiques.
Propos recueillis par Charles Tesson
Critikat – Fabien Reyre
Femme femme
On n’est pas près d’oublier son nom : Louise Wimmer. Et, par la même occasion, ceux du réalisateur (Cyril Mennegun) et de l’actrice (Corinne Masiero) qui, en une heure et vingt minutes, donnent vie à l’un des plus beaux personnages du cinéma français de ces dernières années. Louise Wimmer : une femme a priori banale, qui roule dans la nuit en écoutant en boucle « Sinnerman », la célèbre chanson de Nina Simone. Clope après clope, d’un petit boulot à un bar PMU qui fait crédit, Louise semble foncer à toute allure, enivrée par le rythme obsédant du chef d’œuvre de la chanteuse soul. Louise est une battante. Elle est fière, elle n’a peur de rien, en apparence. Louise ne demande qu’une chose : avoir un logement.
Une femme sans influence
Cyril Mennegun vient du documentaire : on le devine aisément, à regarder la précision avec laquelle il dépeint le quotidien de son personnage, toujours à la bonne distance, avec une empathie qui ne sombre jamais dans le pathos. Héroïne de son temps, Louise Wimmer donne un visage aux anonymes brisés par les gros mots que les journaux ressassent froidement, jusqu’à l’écœurement : crise, récession, précarité… Mais c’est par le truchement de la fiction que le cinéaste parvient à rendre vivante cette victime collatérale de l’impitoyable machine économique. Pour autant, jamais la question politique n’est ouvertement posée : infiniment plus que le récit indigné d’une vie en déséquilibre, Louise Wimmer est, surtout, un magnifique portrait de femme. Le jeune cinéaste ne lâche pas son actrice une seconde, faisant de Louise un personnage non seulement d’une densité rare, mais également d’une belle sensualité. Le film évite de nombreux écueils, ne se limitant jamais au constat froid et compatissant de la descente aux enfers d’une quinquagénaire : il est, au contraire, débordant d’espoir et de vie, d’humour et de plaisir. Qui est Louise Wimmer ? Une femme tour à tour arrogante et bornée, touchante et admirable, pathétique et grandiose. Comme un Cassavetes revu et corrigé par Laurent Cantet, Cyril Mennegun appréhende le désordre social par le biais de l’éternel féminin : une grande crinière rousse et un corps étonnant, lourd et gracieux à la fois, en guise de Marianne moderne, pas du tout investie par une quelconque mission, sinon celle, si contemporaine, de sauver sa peau du marasme global.
Il faut, pour cela, une actrice, une vraie, une grande, et celle révélée par Cyril Mennegun est un ravissement. Corinne Masiero brûle littéralement l’écran de son physique presque androgyne, faisant de cette Louise un corps en perpétuel mouvement, qui ne doit jamais s’arrêter pour ne pas mourir. La voiture, élément clé du film, est le prolongement de Louise : elle y dort, elle en a besoin pour travailler, elle l’utilise pour rouler à toute allure et oublier ses malheurs. Elle est le lien qui l’unit à une vie sociale, à la générosité de ceux qui veulent bien lui donner un coup de main pour ne pas qu’elle sombre. Louise est un mystère, et Corinne Masiero réussit parfaitement à lui donner chair sans jamais la dévoiler tout à fait : le résultat, vertigineux, embarque le spectateur vers des sommets de sentiments contradictoires. Quand, à la fin, un rayon de lumière éclaire l’écran et le visage de Louise/Corinne, Cyril Mennegun réussit un petit miracle : faire couler des larmes de joie sur nos visages ébahis.
Le Monde – Thomas Sotinel
Un captivant portrait cinématographique, qui révèle progressivement son sujet, jusqu’à en faire un objet d’admiration.
Voici Louise Wimmer. Vous allez passer quatre-vingts minutes avec elle. C’est long pour une première rencontre, il faut une bonne raison pour lui consacrer tout ce temps, la voici : Louise Wimmer est une héroïne. Arc-boutée contre la fatalité, elle incarne la volonté de prendre son destin en main. Louise est d’autant plus héroïque qu’elle est ordinaire. Ce qui l’est moins c’est l’image qu’en donnent Cyril Mennegun et Corinne Masiero, le réalisateur et l’interprète du long-métrage qui porte le nom de cette femme à la fois du et hors du commun. Louise Wimmer, le film, est un captivant portrait cinématographique, qui révèle progressivement son sujet, jusqu’à en faire un objet d’admiration.
Pourtant, admirable n’est pas le premier adjectif qui vient à l’esprit quand on rencontre Louise. C’est une femme de haute stature, mise sans apprêt, qui ne parle pas beaucoup. Mais à qui parler, pourquoi et comment s’habiller mieux ou se maquiller quand on habite dans sa voiture, quand on passe les heures à courir de l’hôtel où l’on fait les chambres aux villas que l’on balaie ? Louise vit au bord du gouffre et le film de Cyril Mennegun, documentariste qui réalise ici sa première fiction, ressemble d’abord à la peinture d’une situation sociale, d’une précarité montrée ici dans sa forme la plus extrême.
Si Louise Wimmer s’en tenait à ce seul propos, ce serait un film méritoire, un « cri d’alarme » ou un « implacable réquisitoire ». Or, c’est bien plus que ça et c’est à ce moment que la tâche du critique de cinéma se complique.
Car dans ce bloc de misère, le réalisateur et la comédienne sculptent peu à peu un personnage d’une grande complexité. Ce n’est pas que Louise se mette à déclamer de grandes tirades. Jamais le film ne se départ de l’observation des comportements. Simplement, au fil des séquences, on apprend deux ou trois choses sur Mme Wimmer. On devine bien qu’elle est tombée de haut, un peu au moins, puisqu’elle vit dans un break Volvo, et pas dans une Twingo. A 50 ans, elle a eu le temps de vivre, d’aimer, d’ailleurs les lambeaux de cette vie sont rassemblés dans le box d’un parking dont elle peine à payer le loyer.
Mais le reste de Louise, les détails de ce passé et les escarmouches incessantes de la campagne qu’elle mène pour s’assurer un avenir, il faut les découvrir au fil de ce beau film. D’observateur plein de commisération, on passe peu à peu dans la peau d’un partisan passionné : on se demande si la voiture va démarrer, ce matin-là, avec autant d’angoisse que l’on se demandait si Cary Grant et Eva Marie Saint arriveraient à escalader le nez de Thomas Jefferson dans La Mort aux trousses.
Un film de guerre
Cette empathie qui va croissant tient d’abord à la manière dont Cyril Mennegun mène son récit, découpé en blocs assez brefs qui prennent tout juste le temps de dessiner une situation, d’en définir les enjeux et de mettre en scène la stratégie qu’adopte l’héroïne pour y faire face. Jamais le metteur en scène ne s’attarde, tenant ainsi les tentations et les pièges du mélodrame à l’écart.
Finalement, Louise Wimmer est un film de guerre. Corinne Masiero, avec son mélange de brutalité et d’élégance, repart sans cesse à l’assaut. Elle alterne les coups de main (il faut découvrir au fur et à mesure ces situations impossibles que fait surgir la misère, et les trésors d’astuce et de persévérance qu’il faut pour les conjurer) et les affrontements à terrain découvert, avec les membres de sa famille, ses interlocuteurs de l’administration, les agents du maintien de l’ordre.
Ces personnages restent d’une certaine façon à la périphérie de la vie de Louise, elle est engloutie dans la solitude et la misère. Pourtant, le film fait leur place à ces seconds rôles, tous interprétés avec une grande rigueur (Anne Benoît en patronne de café est parfaite, par exemple : elle n’a pas un grand coeur, elle a un coeur qui fait ce qu’il peut) si bien que le monde dans lequel se débat Louise Wimmer reste humain, malléable quand même malgré son extrême dureté pour les faibles. Quant à savoir si Louise aura prise sur lui, il faut passer quatre-vingts minutes avec elle pour le découvrir.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles