VENDREDI 20 DECEMBRE 2019 à 19 h 45 et MERCREDI 15 JANVIER à 19h 30: Mystères de Lisbonne, de Raúl Ruiz
Mystères de Lisbonne
de Raúl Ruiz
Portugal/France – 2010 – 4h 26′
1er épisode : 2h le 20 décembre – 2e épisode : 2h 26′ le 15 janvier 2020
«J’avais quatorze ans et je ne savais pas qui j’étais.»
Mystères de Lisbonne nous entraîne dans un tourbillon permanent d’aventures et de mésaventures, de coïncidences et de révélations, de sentiments et de passions violentes, de vengeances, d’amours contrariées et illégitimes dans un voyage mouvementé à travers le Portugal, la France, l’Italie et le Brésil. Dans cette Lisbonne d’intrigues et d’identités cachées, on croise une galerie de personnages qui influent sur le destin de Pedro da Silva, orphelin, interne d’un collège religieux. Le père Dinis, ancien aristocrate libertin devenu justicier ; une comtesse rongée par la jalousie et assoiffée de vengeance ; un pirate sanguinaire devenu homme d’affaires prospère. Tous traversent l’histoire du XIXe siècle et accompagnent la recherche d’identité de notre personnage.
Résumé de l’épisode 1
Merci à Ciné club de Caen
Première partie. 1807, les armées napoléoniennes tentent d’envahir le Portugal qui a refusé d’adhérer au Blocus continental. Interne d’un collège religieux, João cherche à découvrir la vérité sur ses parents. Suite à une rixe où il a été blessé pour défendre l’honneur de son père, il découvre l’identité de sa mère, la comtesse Angela de Lima, venue surveiller sa convalescence. Accompagné du père Dinis, Joao peut l’entr’apercevoir un jour, penchée à sa fenêtre. Mais il est chassé du parc du château par son propriétaire, le nouveau mari d’Angela.
1810. Profitant du départ du mari d’Angela pour combattre une nouvelle tentative d’invasion, le père Dinis et Joao rendent visite à la comtesse. Celle-ci leur révèle qu’elle est prisonnière de son mari qui vit en concubinage avec la bonne. Le père Dinis, soutenu par Joao, décide d’emmener immédiatement la comtesse au collège avec eux. La comtesse fait ainsi enfin la connaissance du fils duquel elle avait dû se séparer. Elle accepte que le père Dinis lui révèle l’identité de son père. Dinis l’apprit lorsque celui-ci, Don Pedro da Silva, vint, blessé à mort, lui raconter son histoire. Jeune noble désargenté il s’était épris d’Angela au premier regard. Celle- ci lui rendait son amour. Le père d’Angela, le marquis de Montezelos, refusa à Don Pedro la main de sa fille car il était trop pauvre. Ne pouvant fuir aux Amériques de peur qu’Angela ne soit mariée de force, il continua de la voir en secret. Ils devinrent amants. Le marquis avait mandaté un bandit pour surveiller sa fille et un soir que don Pedro s’enfuyait de chez elle, il fut blessé à mort par le bandit. Il vint alors se réfugier chez le père Dinis. Une fois la comtesse endormie, Dinis poursuit son histoire auprès de son jeune élève lui racontant comment, déguisé en brigand, il parvint à convaincre le bandit, Mange-couteaux, de ne pas tuer l’enfant de la comtesse. Il le lui acheta quatre-vingt pièces d’or. Joao en conclut alors que l’enfant, lui-même, avait été racheté par la comtesse. Dinis réfute cette explication trop simple.
La mère et l’enfant coulent des jours heureux. Mais pendant ce temps à Lisbonne la rumeur fait de la comtesse une fille perdue vivant en concubinage avec un prêtre. Seul un riche inconnu revenu du Brésil, Alberto de Magalhães défend l’honneur de la comtesse. Le père Dinis n’est pas en reste. Il poursuit avec un huissier le Comte de Santa Barbara afin qu’il confesse son mensonge et restitue son honneur à son épouse. Dinis découvre le comte mourant. Celui-ci lui raconte comment il a été manipulé par le marquis pour épouser Angela et comment, devenu follement amoureux et malgré les avertissements d’un mystérieux inconnu, le père Dinis déguisé, il l’a épousé. Dinis s’en revient avec sa confession et prie Angela de l’accompagner revoir le comte qui demande à être pardonné. Le jeune don Pedro s’oppose à ce départ mais la comtesse rejoint son mari alors qu’il vient de décéder. Le Frère Baltazar da Encarnação lui remet une lettre de son mari. Angela s’en revient troublée au collège. Elle refuse l’héritage mais comprend l’amour malheureux de son mari et décide de s’enfermer au monastère. Dinis vient la voir, lui recommandant de voir Eugenia qui n’a pas accepté non plus l’héritage de son concubin. Lui-même s’en va à Santarém sur les instances du frère Baltazar da Encarnação.
Axelle Ropert
Adapté d’un roman-fleuve portugais, un feuilleton grandiose et échevelé brassant les pays, les générations et les destins. Ruiz signe son chef-d’oeuvre, et plus encore.
Quelquefois, le cinéma le plus romanesque peut vous toucher aussi directement qu’un film qui vous parlerait de vous-même. Non qu’il vous ressemble avec une acuité telle que le miroir brandi vous brise le cœur, mais parce qu’il réveille de sa somnolence une fleur inconnue en vous, qui ne s’ouvre que très rarement – la fleur de l’art. Le cinéma romanesque n’est pourtant plus tellement en forme. Captif d’adaptations académiques excessivement coûteuses, il semble s’être réfugié avec davantage de bonheur dans des formes plus contemporaines (Two Lovers de James Gray).
Il existe pourtant actuellement deux grands cinéastes romanesques. Ils ne sont ni anglo-saxons ni français, mais originaires de ce Sud où les fictions ténébreuses abondent. Le premier est portugais, c’est Manoel de Oliveira qui, avec Francisca, Val Abraham et La Lettre, a inventé un cinéma romanesque lusitanien capiteux et tordu.
Le second est chilien, c’est Raúl Ruiz, connu pour sa prolixité et ses explorations labyrinthiques du souvenir, et qui se place ici sous l’égide du premier (même écrivain de chevet – Camilo Castelo Branco –, même langue, même producteur – Paulo Branco), mais une égide amusée tant la malice est perpétuelle chez ces hommes du Sud.
Reprenons depuis le début. Mystères de Lisbonne est un film-fleuve nouant les destins d’un prêtre, d’un vil séducteur, d’un semi-orphelin, d’une amoureuse éconduite, d’une épouse tyrannisée. Un jeune bâtard se découvre une mère aimante. Une jeune femme brune poursuit de sa vengeance l’homme qui l’a anéantie. Une jeune femme blonde doit choisir entre trois jeunes hommes et se trompe peut-être. Elle mourra jeune.
Les intrigues, successives et orchestrant cependant des réapparitions, s’accrochent les unes aux autres comme les excroissances aventureuses (surprise des tours de la fiction) et pourtant préméditées (justesse des rebondissements) d’une vaste toile d’araignée. On peut parler de miracle, car le genre romanesque aboutit à une équation inouïe : la splendeur et la légèreté tout ensemble.
Splendeur de la mise en scène, avec les mouvements coulissants faisant surgir les personnages comme autant de fleurs sauvages et pensives, menacées par la trame des secrets. Splendeur du décorum reconstitué avec une finesse d’aquarelliste. Mais aussi légèreté par la relance du découpage en épisodes, et surtout par un humour proche de l’impassibilité d’Oliveira, mais encore égayé par des cocasseries à la Guitry : un valet sautille comme un caniche trop bien élevé, mille et une servantes espionnent au grand jour des secrets que les personnages principaux sont bien les seuls à croire défendus, un esprit cosmopolite veille au grain. On peut parler de chef-d’œuvre, mais ce serait négliger la dimension si alerte d’un film où l’esprit parieur métamorphose chaque scène en coup de dé.
Pourtant, la toute fin du film atteint quelque chose de sublime lorsque l’art accepte de déposer les armes tournoyantes de la fiction. Lors de cette trêve où l’éternité a enfin son mot à dire, l’araignée ruizienne rappelle à elle tous les fils luminescents de sa fresque pour composer une laterna magica où Bergman (Fanny et Alexandre), Truffaut (Les Deux Anglaises et le Continent) et Welles (La Splendeur des Amberson) resurgissent.
D’un coup, et ce coup vous terrasse, Mystères de Lisbonne ne déploie plus seulement un art du récit, mais propulse un sujet dont la simplicité dépouille le baroque de ses détours : la destinée des orphelins.
Dans le film, les chagrins sont toujours moins justes qu’on ne le croyait (les victimes le sont surtout d’elles-mêmes), et en même temps toujours plus profonds qu’on ne s’y attendait.
Quoi d’autre que l’art finalement – qui serait défi et consolation lancés aux chagrins jamais résolus de l’enfance.
Télérama — Samuel Douhaire
Quand un long métrage dure plus de quatre heures, l’expression de film-fleuve coule de source. Mais le terme paraît bien faible pour Mystères de Lisbonne, voyage au long cours où, à chaque escale, le regretté Raoul Ruiz revisite en majesté un genre cinématographique : le film d’aventures et le film de guerre, le mélodrame et le burlesque, le polar et le récit d’apprentissage, mais aussi le fantastique.
Voici donc Pedro da Silva, un orphelin mélancolique ; le père Dinis, son protecteur bienveillant ; le millionnaire Alberto de Magalhães, un mystérieux aristocrate venu du Brésil. Voici encore une noble française ivre de vengeance, un bandit vulgaire et violent… Toutes ces figures se croisent, se succèdent et se confondent dans d’éblouissantes combinaisons narratives qui chevauchent les frontières et les années – de la période prérévolutionnaire à la monarchie de Juillet.
La mise en scène est à l’unisson de ce grand récit tout en faux-semblants. Le cinéaste chilien a toujours été un expert dans l’art de transformer les mensonges en vérité, et vice versa. Il est tout autant un maître dans l’art de rendre la réalité irréelle. Il y a de la magie dans ses plans-séquences stupéfiants, ses travellings qui traversent les murs, sa caméra qui virevolte autour des comédiens. Mais aussi, la sensation poignante d’une disparition inéluctable que le mouvement incessant de la caméra viserait à repousser au plus tard possible…
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles